mean kid ► jael

Kael s'ennuyait un peu. Non, beaucoup.
Mais le rejeton Aekhan ne cherchait pas aujourd'hui. Il était un peu las, un peu à l'ouest, un peu ennuyé avec son bout de pancake coincé entre les dents et son verre de jus d'orange. Il ne savait pas trop où aller, quoi faire; qui aller voir surtout. Il ne savait même pas s'il en avait envie, de voir du monde, de se mêler à la foule, de jouer l'animal sociable cette fois là. Un soupir, et le gamin s'enfonça dans son siège, frottant d'une main le battement sourd de ses paupières. Il écouta le bourdonnement dû au manque de bruit, au tombeau que créait Jazz lorsque n'était pas là pour combler le vide perdurant au creux des bras de Kal'. Jazz, elle avait le charme d'une fanfare, un tintamarre de chaque instant qui bousculait le monde, qui bousculait les gens, qui le bousculait lui, aussi. Kael embourbée dans cette insidieuse monotonie, Kael drapé de l'étoffe de son ennuie. Kael qui n'était qu'un corps abandonné, dans l'attente de son éveil, qu'elle lui insuffle un sursaut de motivation, une bouffée d'oxygène.

Enfin bref, Kael s'emmerdait.
Il ne savait pas quoi faire de sa journée et comme d'habitude, laissait sa main voguer sur le clavier de son ordinateur sans grande conviction, vaine tentative de vaincre son manque d'inspiration et sa crise de la page blanche. Car l'ennuie, c'est tout ce qui l'insupportait, elle avait besoin d'orgie mouvement, sa vie, d'un perpétuel renouvellement pour ne pas qu'il s'enlise à stagner comme un  damné qui attendrait vainement d'être pardonné. Merde... Elle faisait quoi Jazz pour trainer autant? On avait pas idée de paresser jusqu'à 13h30.

Il aurait put en soupirer de soulagement Kael, lorsqu'enfin, la belle émergea, la mine chiffonnée d'un chaton ébouriffée qu'il aurait mieux valu ne pas emmerder. Mais Kael, il s'en foutait. Il s'en foutait si fort lorsqu'il l'attrapa par les hanche pour la percher sur ses genoux, jaugeant son apparence d'un regard critique de fin monsieur je sais tout.

▬  Toi, t'as baisé hier soir ou je m'y connais pas.

Il le lisait aisément, dans l'éclat de son regard, le pli de ses lèvres ou encore, et c'était plus certain, à cause de ce léger bleu fleurissant joyeusement au creux de son cou. Mais - doit-on vraiment le redire encore ? - Kael s'en foutait, qu'il y ait eut un autre ou que cet autre émergeait également de la pièce, visiblement décontenancé par le spectacle qu'ils offraient. Parce que Jazz ne lui appartenait pas mais qu'il y aurait toujours un bout de Jazz en lui comme il lui aurait toujours son empreinte dans le coeur de la belle. Jazz, elle était un tout, une boule de nerf et de mauvaise humeur qu'il aurait aimé pouvoir protéger envers et contre tout. Une sauvage qu'il avait dû se résigner à voir grandir et devenir indépendante. Parce que Jazz n'avait besoin de personne pour la défendre mais que lui Kael, avait besoin d'elle, besoin de croire qu'il lui était indispensable, au moins un tout petit peu et que elle, au moins, ne l'abandonnerait jamais.

▬  Ah ouais je vois le genre, t'es pas très exigeante ces derniers temps.

Certes, Jazz ne lui appartenait pas. Mais il n'était pas obligé d'apprécier ses coups d'un soir lorsque ceux ci étaient aussi... basique.

Mademoiselle avait prit ses aises - Jazz prenait toujours ses aises.
Elle était semblable à tous ces chats de gouttière, elle prenait lentement place dans la vie des gens, s'infiltrait sous les peaux, gangrénait  jusqu'à la plus insignifiante cellule de leur système, imposait cette sacro-sainte loi du tout et rien émotionnel - et puis se tirait. Jazz n'était pas de ces femmes qui laissaient indifférent, elle avait quelque chose. Quelque chose d'enfouit quelque part, sous la frange de ses cils, dans l'ombre de son regard. Ou alors était-ce plus subtile - dissimulé dans le l'accroc de son souffle, de ses gémissements qui s'épuisent sur un cri, de ces cris qui s'achèvent dans un soupir.

Oui, Jazz ne laissait personne indifférent, elle avait l'attrait incrusté à même le grain de sa peau.
Kael avait les bras enroulés autour de sa taille et le menton posé sur son épaule, ses lèvres qui caressaient sa joue sans vraiment l'embrasser - il l'écoutait râler, un sourire moqueur sur le visage. Elle râlait souvent Jazz, presque tout le temps. Pour un oui ou pour un non, pour une canette manquante, une lumière trop forte, le chien qui venait la voir, qui ne venait pas la voir - pour un tee shirt qu'elle lui avait volé, une chaussette disparu, un repas trop cuit, pas assez cuit. Il en avait souper à la longue - de ces éternels contre-sens.  

▬  Tu détestes dormir toute seule.

Son regard se porte sur l'autre, énième amant de passage qui s'extirpe de la chambre pour voguer à travers l'appartement. La scène a de quoi surprendre, nombreux sont ceux et celles qui ont tenter de mettre un mot sur leur relation sans jamais pleinement parvenir à la quantifier. Pouvait-on parler d'amour sans possessivité,  d'amitié lorsque sexe et intérêt s'y mêlait? Kael était un peu de Jazz comme Jazz était un part de Kael, deux âmes branlantes voguant sur le même navire à travers les flots de leurs propres Styx. Et ça le fait marrer Kael, de voir l'autre hésiter, louvoyer autour de Jazz comme s'il avait  réellement compter - ceux qui s'attache après une misérable nuit sont sans doute les pires.

Le brun boit une gorgée de son verre, la joue appuyée contre son poing, le regard posé sur Jazz- encore un peu et elle lui arracherait la tête elle même.

▬  Mec.

Mais il n'était pas d'humeur à partir en guerre dès le réveil - et encore moins à supporter les divagations d'un quelconque. C'est pour ça qu'il se lève sans se faire prier, vient passer son bras autour des épaules de Jazz et poser son menton sur le sommet de son crâne.  

▬ On va être clair cinq minutes, "bébé" c'est moi. Toi, elle se souvient pas de ton nom et galère à utiliser des "tu" à tout bout de champ pour pas te le faire remarquer.

Ou alors elle s'en branle, vaste question qu'il ne cherche nullement à approfondir avant de désigner le petit déjeuner de l'index.

▬ Alors sois mignon et épargne moi la scène du mec qui creuse son propre trou et bouffe sans faire d'histoire et si tu te douches vide pas toute l'eau chaude.

Kael arqua un sourcil narquois - parce qu'il n'était pas du genre jaloux et ne l'avait jamais été. Jazz était bien assez casse couille pour pouvoir s'en tirer toute seule. Elle n'avait rien de la demoiselle à détresse - et si certains avaient tendance à l'oublier parce qu'elle leur permettait de partager son lit, lui ne s'y aventurerait jamais. Non, en temps normal il était bien plus enclin à la regarder s'extirper de ce genre de malentendu matinal. Comme elle se plaisait parfois à le galérer face à une amante beaucoup trop enthousiaste qui confondait "un coup comme ça" et des "repasse me voir".

▬  Pourquoi? J'me trompe?

Mais ça le fait marrer - assez pour lui faire pencher la tête sur le côté, pour promener son regard sur le visage de Jazz. Il ne s'était pas mit en colère, il avait simplement mit les choses au clair avec un abruti qui prenait trop facilement ses aises. Mais ce n'est pas comme si la demoiselle attendait une réponse immédiate de sa part - elle monologuait, le timbre de sa voix rythmé par le tressaillement de sa jambe, un tap tap tap régulier sur lequel il finit bien vite par se calquer, opinant du chef au rythme de sa tirade passionnée. Tant de bonne volonté pour lui rappeler qu'elle s'était arrangé pou saboter le petit déjeuner de Clara et que depuis cette dernière lui taillait une bonne réputation d'hystérique.  

▬  Je lui fais gagner du temps. J'vois même pas pourquoi tu m'engueule, je lui évite l'humiliation de trop.

Comme s'il avait besoin de s'inquiéter pour un type comme ça - un idiot sans nom qu'elle ne retiendrais pas. Une sombre inconnu, effacé dès qu'il s'en serait aller, qui les fixait bêtement de l'autre côté du salon, à mi chemin entre le ressentiment et la simple fascination. Pour l'étrangeté de leur duo. Pour Jazz si petite par rapport à lui qui essayait de le dominer par sa seule présence. Par ses bras qu'il vint enrouler autour de ses hanches. Il la rapprocha d'un geste, par envie bien plus que par bravade, venant piquer une bouchée du pancake encore coincé entre ses doigts.

▬  Genre, plus tôt il sait ça, plus tôt il se fait pas de film et plus tôt on récupère notre espace vital. Franchement cet appart est assez petit comme ça, s'il commence à croire qu'on lui donne du chéri il va se taper l'incruste jusqu'à pas d'heure. Grosse flemme.

La logique de Kael était, somme toute, facile à suivre. Il la voulait pour lui, dans leur appartement, avec leur boule de poil, à regarder ces films complètement merdique qu'elle aimait par dessus temps en essayant vainement de lui faire avaler quelque chose qui ne contienne ni gras ni fromage à foison. Bref, une matiné banale de leur couple chaotique, où il pourrait simplement jouir d'elle et son foutu caractère de merde.

▬ Hey, tu vas pas me faire la gueule pour ça quand même?

Il avait froncé les sourcils, un rien confus face à cette possibilité. Qu'elle puisse être contrarié et lui faire la gueule au nom d'une énième cause supposément féministe à laquelle il ne capterait rien - parce qu'il comprenait rarement les fondements des coups de gueule féminin et peinait à faire semblant de s'y intéresser sincèrement les trois quart du temps. Surtout lorsqu'il s'agissait d'affaire de plans culs.

▬ J'ai fais des pancakes !

Et son regard essayait suffisamment de l'attendrir pour que cette phrase là, sonne comme son meilleur argument.