La vida es sueño — YARDEL

surname Son nom rimait avec jewel, se retrouvait dans le dictionnaire à l’article argent dans la rubrique des synonymes, clinquait sur le devanture de l’ostentatoire bijouterie. Il venait rapidement à l’esprit, quand on y réfléchissait : Yardel, avec un Monsieur devant, pour être poli, parce qu’on était toujours poli avec les nantis qui enserraient le soleil au creux de leur paume. Le nom était une garantie de qualité, une assurance de filouterie, une insulte et un compliment, à l’image floutée de son héritier.
first name C’était terrible d’appeler son enfant Trancy. C’était terrible ce prénom qui, par une simple lettre modifiée, pouvait devenir une insulte. C’était terrible ces deux sons qui résonnaient, claquaient la joue et fouettaient l’esprit, piétinait un égo durement construit. Peu d’âme pour l’appeler Trancy, dorénavant : on n’y gagnait qu’une crispation de la mâchoire, un regard sombre, une remarque acerbe. Il était Yardel en public, Yardel en privé, Yardel derrière le comptoir et Yardel au lit. Les parents ne comptaient pas, parce que les parents, comme tous les parents, ne savaient pas.
birth certificate Les années avaient peu d’importance pour les hommes capables de figer le temps ; l’or servait de formol à la Day Court, les roses de Ronsard survivaient au poète dans un écrin ambré et le sourire chryséléphantin de Yardel dissimulait ses 43 années derrière l’ombre faussée d’une jouvence obscure. Des ans factices et bâtisseurs d’une maturité tartufe que de railleuses Nuées avaient fait débuter en novembre 2176, dans le giron d’une nuit virgilienne. Un défi moqueur adressé à l’enfant de l’Upper East Side, au bâtard de la Day Court né au coeur de l’encre blême des gorges d’Orcus.
heart rate Les rejetons ne l’intéressaient guère, pas plus qu’une conjugale épouse qui l’attendrait sur les draps de soie d’un trop grand lit. Il le chauffait bien souvent seul, s’absentait le reste du temps ; il s’agissait bien du mobilier le plus chaste de sa demeure. Yardel vendait ses sourires, marchandait ses caresses, troquait ses gémissements ; il monnayait sa langue aussi bien que des pierreries et y gagnait parfois plus. C’était que le cul du fils du Soleil valait davantage qu’un saphir, tout pur qu’il était.
occupation Relent de ce fier pourceau d’Épicure, ce fidèle de la doctrine d’Horace, c’était à la blanche Leukonoé de l’élégiaque qu’était consacré la bijouterie familiale  Carpe Diem dont il était le libéraliste patron. Bâtiment plus luxueux encore que ce qu’il vendait, la maison n’affichait pas les prix sur les petites feuilles d’or qui résumaient en quelques mots les qualités du produit.
perimeter New York était souvent sombre, glauque et charriait des déchets comme la marée. Yardel pouvait plonger ses doigts vernis dans l’immondice sans pour autant parvenir à y vivre. L’Upper East Side était bien l’unique drageoir capable d’apaiser ses yeux que trop de saleté irritait. Dans sa Domus Helii, rénovée après la mort du frater, il vit entouré de miroirs et de dorure, confondait ses vêtements avec les tapis, ses tapis avec les tentures, les tentures avec ses draps, ses draps avec ses mouchoirs, ses mouchoirs avec ses vêtements. Et surtout lécher à pleine langue le sens que l’or sur les murs offrait à sa vie.

temper trap Illusioniste | Minutieux | Chrysophile | Affecté | Sophistiqué | Mondain | Maniaque | Inflexible | Obsessionnel | Amène | Méprisant | Patricien | Lettré | Esthète | Dilettante | Impudique | Hédoniste | Opportuniste | Hâbleur | Trompeur.
random facts Tranny + Une pointe d’hubris, une porte qui fermait mal, un camarade inquisiteur, une terreur qui broyait le ventre, une honte qui cassait la nuque : voilà les ingrédients de la scène universitaire qui ruina la première année de Yardel à Astoria. Et une robe, magnifique, à l’image de son coven, qu’il portait avec maladresse mais bien plus de prestige que sa propre mère. Des rires, et une insulte bien trop proche de son prénom pour que les imbéciles ne s’en saisisse pas. Il apprit alors comment on appelait les garçons qui fouillaient dans le placard de leur mère pour s’habiller. Et comment on les traitait. Elle lui apprit également la prudence, et Yardel retenait ses leçons quand on les lui imprimait sur la chair. À présent il porte une bague à chaque doigt de sa main, dort seul et en robe de nuit dans son palais  tandis que le garçon qui avait, il y avait plus de vingt ans, ouvert la porte à la volée pour le tirer sous les regards de l’université se casse les dents sur les cailloux de Rockaway.
Golden boy + L’eau chaude fumait, dissolvait les perles de pourpre qui accompagnaient toujours Yardel dans ses bains. Sa peau, rapidement, se teignit de la couleur de l’imperium tandis qu’un homme agenouillé près du bassin peignait ses ongles avec cette teinte bleue qui rappelait les peintures de la IVe dynastie égyptienne. Un autre massait ses pieds tandis qu’une femme traçait soigneusement les contours de ses yeux. La moitié basse de son visage était peinte d’or ce qui ne l’empêchait guère de dicter des ordres à son aide qui s’empressait de noter sur papier tous les travaux que le patron exigeait de voir accomplis dès le lendemain ; comme si ses lèvres n’étaient pas recouverte d’une couche étouffante de précieuses feuilles malléables. L’or était son sang, s’en retrouver barbouillé lui donnait l’effet d’un guerrier, ou d’un requin. Sa langue venait parfois effacer la dorure du coin de ses lèvres, et le goût habituel persistait au fond de sa gorge malgré l’odeur orangée du bain qui prenait les narines.
Fils de Gordias + Il méritait certainement mieux qu’une bâtarde prodigue, sombrée sur le coin de son nez comme si la Suprême l’avait fait descendre d’un quelconque aérolithe. Une salope qui éternuait des tornades comme si siffler dans les violons la légitimerait. Bientôt trente ans que Yardel cachait son intime bâtardise, se dévouait en sourires, léchait les mains de la Suprême et brisait son dos en espoir de paiement en pouvoir pour se voir arracher son sésame par une gamine — une salope, une salope, une salo… Il fallait inspirer, il fallait crisper le sourire doré, frotter un peu plus ses genoux au parquet, il fallait chercher, biaiser : mais c’était certain, quelqu’un, dans cette histoire, allait se retrouver baisé.
theme song « Golden words he will pour in your ear, but his lies can't disguise what you fear » — goldfinger