Game of fools { Ariélie

« « Zélie. » Ce n’est pas une question, cet un appel de la part de son père. La soirée bat déjà son plein dans le palace qui sert de décor à la nouvelle excentricité qu’on leur a commandée. Un anniversaire de mariage, entre deux puissants de ce coven se doit d’être célébré en grande pompe et les Havilliard n’ont pas fait les choses à moitié, l’endroit entièrement transformé en forêt tropicale, moitié avec la complicité de sorciers de la Spring Court, moitié avec le concours de la famille Crane. Il lui a semblé d’ailleurs apercevoir un ou deux membres du trio, qu’elle brûle d’aller retrouver … mais elle en est pour ses frais. Car ses parents ont d’autres projets pour elle cette nuit-là. Et si longtemps, elle a cru dur comme fer que jamais ils ne lui feraient ça, jamais ils ne demanderaient à leur fille l’engagement ultime, ses illusions commencent à s’effriter. Peut-être parce que le monde et les autres lui apparaissent soudainement plus clairement, depuis quelques temps. Et la demoiselle en serait presque à se résigner. Son complice de toujours prend parfois les traits d’un monstre. Celui qu’elle pensait avoir retrouvé en a pris momentanément l’aspect également. Alors à quoi bon ? Des pensées bien loin des couleurs qui agitent d’ordinaire la vie de l’enfant de l’Été, succombant peu à peu au spleen qui lui a toujours léché l’âme, cette voix au fond d’elle fredonnant des balades belles à pleurer. C’est donc sans la moindre surprise qu’elle laisse son père lui désigner un jeune homme, un peu plus loin. Environ son âge, elle connaît bien évidemment Perseus. Un aimant à regards et à sourires, l’éloquence superbe, un acteur adulé de sa génération qui a toujours su où était sa place : au-dessus des autres. Un match parfait, sur le papier. Et un parti convoité, ne serait-ce que pour l’argent de son père, gérant de pas moins de deux galeries et une salle de spectacle. « Tu es superbe ma chérie. » Le compliment la fait sourire et elle laisse son père l’admirer, tournant même sur elle-même pour lui montrer la façon dont sa tenue végétale du jour prend la lumière. Et dans un mouvement de cheveux méchés de vert, elle est partie vers sa cible de la soirée.

Mais chaque pas lui coûte, alors que mentalement, la naïade vérifie que sa tenue est parfaite, que son maquillage est en place, que son sourire est bien accroché à ses lèvres, qu’elle bat des cils à la perfection. Son cœur bat douloureusement et le souffle se fait rare, finit même par lui manquer. Il se rapproche vite. Trop vite. Et au moment où elle devrait croiser son regard, sa course ne s’arrête pas. Ses pieds continuent, ses talons le dépassent et elle le frôle, passant à côté, continuant sa course sans se retourner. Ses mains se joignent et se tordent, alors que le masque continue de glisser et qu’elle tente de le garder en place. Son cœur tambourine douloureusement contre sa poitrine. Non. Elle ne peut pas le faire. Pas maintenant. Pas comme ça. L’écho de ses talons se perd dans la musique et c’est sans un regard qu’elle s’éclipse, incapable de rester en place plus longtemps. La pièce qu’elle trouve est séparée en petits boxes, réservés aux artistes engagés pour la soirée. Vide. En tous cas lui semble-t-il. Ils doivent tous être en train de se mêler aux invités avant le grand final sur scène. Ses mains tremblent en se posant sur son visage alors qu’elle se laisse glisser contre le mur, entourant finalement ses genoux de ses bras. Son front trouve le tissu de sa jupe alors que sa respiration se fait plus sifflante. Il faut qu’elle se reprenne. Il faut que cela cesse. Elle ne peut pas vivre comme ça, continuer à prétendre que tout va bien. Pas quand Dashiell n’est plus là à ses côtés. Pas quand Kai… Fermement, elle repousse les images qui manquent de revenir. Non. Ce n’est pas le moment. Il faut qu’elle se ressaisisse. Qu’elle y retourne, finir ce qui a été commencé. Faire passer un bon moment au fils, lui a-t-on dit. Pour plusieurs raisons. Mais la principale étant découvrir qui ses parents comptent engager pour la fête de sortie de son prochain film. Et faire en sorte que le nom Havilliard sorte. Quant au reste … ce ne serait qu’un bonus pour sa famille. Un bonus qui lui coûterait très cher.

Elle n’y arrivera pas. C’est trop difficile. Continuer sans le Soleil à ses côtés. En portant ce secret bien trop lourd pour elle. Pourtant pas une seconde elle ne regrette, ne maudit son envie de savoir, sa trop grande curiosité qui l’a poussée à découvrir le pot-aux-roses. Mais ça lui prendra du temps, savoir comment avancer, comment faire comme si rien n’avait changé. Les gens commencent sans doute à le savoir. Ses parents en tous cas. Qu’il y a un problème. Parce que l’astre solaire ne brille plus à ses côtés. Et si elle a réussi à éviter leurs questions pour le moment, cela ne durera pas éternellement. Parce que cela finira par se voir, si elle ne se reprend pas. Et d’ailleurs … « Zélie ? » La voix la fait tressaillir. D’abord parce que cela veut dire que quelqu’un l’a vue dans cet état. Mais elle ne prend pas la peine d’essuyer ses larmes. Pas quand le deuxième constat la frappe, brusquement : elle connaît cette voix. Et elle n’a jamais eu besoin de se cacher devant elle. Ses yeux rougis se relèvent pour contempler les traits de son ami, qui n’a pas changé « Qu'est-ce qui ne va pas ? » « V..Valentino ? » Pas une seconde d’hésitation alors qu’elle bouge. Ses jambes se replient pour la rapprocher de lui, à genoux. Et c’est à son cou qu’elle se jette, y enfouissant son visage. Parce qu’elle ne va certainement pas lui demander de lui rendre des comptes. Parce qu’elle est simplement, purement heureuse de le voir. Il lui a atrocement manqué, lui aussi. Et hors de question de passer une seconde à se demander pourquoi. Quand tout peut se terminer si vite. Le spleen qui lèche l’âme de la Summer Court est si présent.

Ses larmes se calment, au bout de quelques minutes, l’autorisant enfin à parler, à articuler autre chose que des syllabes décousues. Et quand elle se détache, et secoue la tête, c’est pour dire : « Tout. » C’est sans doute un abus de langage, on pourra lui dire qu’elle n’a pas à se plaindre, pauvre petite fille riche, qui pleure la nuit dans son appartement grand luxe. Mais personne n’a dit qu’il existait une échelle de la douleur. Et certainement pas pour le cœur trop pur et trop naïf de la jeune fille, qui n’a jamais souhaité de mal à qui que ce soit – quoi qu’elle ait pu faire. Ses incisives capturent sa lèvre du bas alors qu’elle tente de se ressaisir. Il y a trop de choses à dire. Trop d’éléments à prendre en compte. Mais il en est qu’elle n’a pas le droit de révéler. Et tout est beaucoup trop intriqué pour qu’elle n’en livre ne serait-ce que la moitié. Et ils y passeraient la nuit. Alors il n’y a qu’une chose qu’elle peut dire : « Il faut que je séduise le fils de nos clients. » Un léger rire lui échappe. Elle a fait ça des dizaines de fois, que ce soit pour le plaisir ou par intérêt. Toujours leur sourire, être parfaite, leur faire miroiter monts et merveilles avant de les laisser sur leur faim. Pour qu’ils en redemandent. Et surtout parce qu’il est hors de question qu’elle donne trop. « Persus Deauclaire. » Il connaît forcément son nom. Et son physique plus qu’avantageux. Le rêve de pas mal de jeune filles – et de jeunes hommes de son âge. Alors il y a un vrai problème. « Je ne peux pas. » Pas ce soir. Pas comme ça. Et effectivement pour ceux que l’échange choquerait … c’est comme s’ils s’étaient quittés la veille. Comme dit plus haut, pas une seconde elle n’envisage de lui extorquer quoi que ce soit. Il lui racontera ce qu’il veut, s’il le veut et quand il le décidera. Il lui propose son amitié, de nouveau et elle s’en empare en lui offrant la sienne en retour, dans un battement de cils. Rien de plus naturel. Rien de plus simple. Rien de plus doux.