Not trying to trade love { Ozya

Les rues de Brooklyn semblent tanguer. Cependant, ça ne semble pas déranger l’être qui déambule en leur sein. Chaque pas est pourtant plus incertain que le premier, la cheville prise de mouvements tout sauf naturels. Mais c’est en souplesse que l’être se rétablit à chaque fois. Il semblerait presque danser, se jouant de l’obscurité, du silence. Pour, deux secondes après, enchaîner dix foulées, comme soudainement pressé. Avant de reprendre sa course éthérée. Et d’un coup, disparaître. En tous cas, à la vue de deux passants qui viennent de débouler dans la même artère que lui. Car il s’agit d’un lui. Que sa magie se charge de rappeler à l’ordre, dissimulant ses traits et sa démarche incertaine à ceux qu’il croise. Un sourire idiot aux lèvres, il leur fait même un signe de la main. Avant de reprendre sa route, manquant de tomber. Et se rembrunissant de nouveau. Ils sont plusieurs en lui, cette nuit. Mais ça partait de toutes les manières, extrêmement mal. La journée a été des plus longues. Depuis la débâcle de fin d’année, les réunions s’enchaînent, plus éprouvantes les unes que les autres. Il y a des décisions à prendre, bien sûr, des décisions extrêmement difficiles et éprouvantes. Et il ne sait pas exactement par quel bout s’y prendre, quand son cœur lui hurle une chose et sa raison, ses conseillers une autre. Alors quand il est sorti, au milieu de la nuit, il s’est rendu dans son bar préféré. A demandé à Pollux de lui laisser la bouteille. A gentiment repoussé Castor. Pas ce soir, non. Pas cette nuit. Cette nuit, ni la bouteille, ni ses amis préférés ne pourront l’apaiser. Pas plus que ces autres contacts, dans son téléphone, qu’il pourrait invoquer de deux mots et un signe de ponctuation. Parce qu’aujourd’hui, il est épuisé. Parce que l’illusion que ses pouvoirs ont voulu créer manquerait de le faire sombrer, cette fois. Et parce qu’il a beaucoup trop bu, trop consommé pour penser correctement. Et c’est pourquoi il est, sans protection, sans escorte, complètement ivre et défoncé, au milieu de la Spring. Heureusement, ce n’est pas un coven ennemi. Heureusement, sa magie le protège malgré lui. Heureusement, il est bientôt arrivé.

Il connaît le chemin tellement par cœur qu’il aurait pu le faire les yeux fermés. Mais comment clore les paupières alors que la nuit est si belle, qu’elle se marie à la perfection avec la nature de Brooklyn (qui pourtant en a pris un coup depuis les derniers événements). Mais son esprit embrumé ne voit que la caresse de la lune sur les feuilles, le baiser des étoiles sur les fleurs. Et il sourit, encore une fois. C’est ainsi que les choses se doivent être. La Nuit mariée à la Nature. Dans tous les sens du terme. Il y est. Au pied de l’immeuble. Il ne se laisse pas le temps de changer d’avis. Pas alors que cela fait plus d’un an qu’il aurait du faire ça. La porte est rapidement ouverte, il n’est pas grand-chose qui résiste à un Suprême. Malgré quelques ratés récents. A part peut-être les escaliers. Ses pieds manquent de s’emmêler mais il est poussé en avant. Par une force inconnue. Qu’il aimerait nommer, d’un mot sublime commençant par A. Et on le reprendrait sans doute en lui disant qu’il doit penser à « alcool ». Peu importe. Il aurait du venir plus tôt. Avoir le courage de lui dire. Avoir l’humilité de s’agenouiller jusqu’à ce qu’elle accepte de rester. Parce que sa vie sans elle n’a pas de sens. Et pas de saveur. Parce qu’il sait qu’il pourrait se consoler dans les bras, entre les cuisses, en bas des reins de qui il veut, il se sentira toujours aussi vide. Parce que ce n’est pas eux qu’il veut. Ce n’est pas elles dont il a besoin. C’est Elle. Et Ozan se stoppe sur le pas de sa porte. Sa main se lève mais finalement s’arrête, pour caresser le battant du bout des doigts. Lui qui ordonne. Lui qui commande. Sait très bien qu’il n’aura jamais l’ascendant ici. Sait quels sont ses torts. Les a reconnus, ne s’en est jamais caché. Ce qui ne rend pas les choses plus acceptables, plus simples. Ses yeux vitreux clignent, une fois, deux fois, pour tenter de faire le point. Il a déjà pris sa décision. Il ne reviendra pas dessus. Il lui a déjà envoyé des messages complètement hors de lui, certains autres jours. Mais pas cette fois. Cette fois il est venu. Parce qu’on ne peut pas l’ignorer aussi facilement. Il en est persuadé. Et finalement, il frappe à la porte. Tente de se redresser. Abandonne l’idée en se sentant tanguer. Appuie son coude dans l’encadrement, sa joue sur son poing fermé. Tentant, vainement, d’avoir l’air digne. On n’ouvre pas tout de suite. Alors il frappe, encore. Menaçant de se casser la figure quand finalement, le battant s’écarte. Et que sa silhouette apparaît. Et c’est un sourire se voulant charmeur qui s’étire sur son visage. Sans doute surtout complètement bourré : « ’Night, gorgeous. » Les enfants, si vous voulez un conseil de Tonton Saab : jamais, au grand jamais, n’allez jamais voir la femme de votre vie pour tenter de la récupérer autrement que complètement sobre.  

D’autres ne parleraient que de paperasse, d’un chaos que l’esprit ne pourrait jamais comprendre. Le genre qui embrume les pensées, qui rend la vie impossible. Et pourtant. Pourtant, Shreya n’y voit qu’une œuvre dont elle ne peut se passer, chaque morceau de papier possédant sa propre place au sein de ce total précis. Alors que son regard court le long des lignes qui lui ont été offertes, elle ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel face a certaines remarques qu’elle y découvre. Traces d’âmes enfantines qui commencent à peine à se poser ces questions que beaucoup ignorent. Peut-être y trouvent-ils la une difficulté qu’elle ne comprend plus, qu’elle a remplacé par une fascination sans bornes. Mais alors qu’elle se doit d’évaluer ce que chacun de ses élèves lui a offert, la voilà qui se prend à douter du futur qui les attend. Certaines phrases se prennent à réveiller sa positivité, à renouveler son intérêt. Intérêt qui, alors qu’elle se doit de se concentrer sur autre chose que son propre cœur, semble s’éteindre un peu plus avec chaque mouvement de la brise qui se faufile au travers de la fenêtre. Son regard finit par se perdre sur le fond de ce ciel étoilé, un stylo dansant entre ses doigts. La, elle n’y trouve que le silence. Ce silence douloureux qu’elle ne supporte pas, qui la suit depuis les évènements de la Lune. Ce silence auquel elle n’est pas habituée, auquel elle ne veut pas s’habituer. Comment pourra-t-elle jamais retrouver cette certitude qu’elle a perdu sous la caresse de flammes destructrices ?

Non.

Ses yeux se ferment. Elle inspire. Puis expire. Lentement, la paperasse s’éloigne. Lentement, le stylo s’immobilise. Lentement, la brise l’enlace. Le doux chant d’oiseaux nocturnes parvient jusqu’à ses oreilles, gagne en intensité alors qu’elle ne pense qu’à eux. Noyé seulement par la douce odeur fleurie qui se faufile jusqu’à ses narines. Il ne reste plus rien. Rien sauf elle. Elle et la nature. Elle devient la nature. Poussée par quelques mots lus de longs jours plus tôt. As long as you try, and you mean it, it will be worth it. Elle ne peut retenir un léger sourire alors que les oiseaux s’éloignent, que leur chant ne soit remplacé par le doux claquement de criquets joueurs. Aujourd’hui plus qu’hier, elle semble retrouver ce sentiment dont elle ne peut se passer. Aujourd’hui plus qu’hier, elle se sent presque flotter, enveloppée dans une euphorie qui s’éveille au plus profond de son cœur. Aujourd’hui plus qu’hier, elle se sent en vie.

Le corps sursaute. Les yeux s’ouvrent. Le stylo s’abat au sol. La tête fait volte-face. On frappe à la porte. Qui donc peut bien se joindre à elle à une heure si tardive ? Immobile, c’est le monde qui tourne autour d’elle. Immobile, il n’y a bien que le doux battement de son cœur contre sa cage thoracique pour rappeler au monde qu’elle continue d’exister. Un long moment, elle n’en fait rien. Un long moment, elle attend. Et voilà que les coups se répètent. Silencieuse, elle se met en mouvement. Ses pieds nus embrassent le sol à chaque pas délicat, s’y attachent avec amour avant de s’en défaire avec chagrin. Debout devant le battant de la porte, c’est une odeur qui lui parvient tout d’abord. Une odeur qui pousse son palpitant à danser plus vite, qui le pousse à chanter plus fort. Doux arome naturel qui s’accroche à son cœur avec cette intensité qui la fait vaciller. Son esprit se retrouve projeté quelques jours plus tôt, a cette promesse qui l’a enveloppée d’un amour qu’elle se prend à ignorer.

Alors la porte s’ouvre.

Alors son sourire se fane.

La nature s’écrase sous le lourd poids d’un alcool acre. Tout sembler crier que le moment n’est pas le bon et, déjà, elle regrette d’avoir daigné de lui répondre. « ’Night, gorgeous. » Appellation qui sonne d’habitude délicieuse entre ces lèvres qu’elle a si souvent volées, voilà qu'il ne s'agit plus que d’un affront vil qu’elle désire délaisser. Son visage, comme souvent lorsqu’elle est en présence de la Lune ne se fatigue pas à dissimuler ce qui se faufile au travers de sa pensée. Elle ne veut pas le voir. Pas lui. A quoi bon faire face a cette loque qui ne mérite pas même d’avoir son regard le découvrir ? Ce sont les Étoiles qu’elle a attendu, impatiente. Celles qui brillent de milles merveilles, celles qui se prennent à lui murmurer des mots doux, poussant la Terre à se montrer jalouse. Voilà ce qu’elle désire tant, ce dont elle se prend à rêver lorsque son esprit le lui autorise. Mais pas cela. « What are you doing here? » Toujours debout sur le pas de la porte, elle ne montre aucun signe présageant qu’elle s’apprête à le laisser entrer. « Did you get lost? » Elle est presque désireuse de le voir sombrer afin que lui-même accepte qu’il ne devrait pas se trouver là. Mais cela la forcerait à le savoir si proche d’elle et pourtant si distant. Elle n’est pas certaine de le supporter. « Go home, Ozan. » Le moment n’est pas propice à ce qu’elle désire. Ce n’est pas ainsi qu’elle y a pensé. Alors ce n’est pas ainsi que le moment se doit de se dérouler.  

Les secondes qui s’écoulent semblent des heures. Il y a de l’impatience dans chaque tressaillement de ses muscles. Il lui a fallu tellement pour en arriver là qu’il ne prendra pas une porte close comme répondre acceptable. Il faut qu’il la voie. Cela fait bien trop longtemps. Ils se sont à peine aperçus depuis qu’elle a débarqué dans son bureau pour lui dire que tout était fini. Et rien de ce qu’il n’a pu dire ne l’a retenue. Il veut l’entendre. Contempler la perfection des traits qu’il caresse dans ses rêves, avant qu’on ne les lui arrache, toujours de la plus horrible des façons. Et quand finalement la porte s’ouvre, quand ses yeux tombent sur son visage … une douce chaleur se répand dans son être, partant de l’organe palpitant dont le rythme vient de s’accélérer. Elle est là. Un ange auréolé de la lumière de l’intérieur de l’appartement. Son parfum lui parvient, la délicatesse d’un jasmin, rendu juteux par des notes d’un vert absolu. Elle sent la nature après la pluie. Un bouquet de fleurs sauvages. Et surtout, elle sent le bonheur. C’est ça, qui lui revient en vagues, quand elle apparaît. Tous ces moments, ces instants qu’ils ont partagé. Les premiers baisers, volés au détour de couloirs. Leur première nuit, après laquelle il n’en a plus voulu d’autre entre ses draps. Les bons moments, uniquement. Cet instant de folie, juste avant que les portes de la salle du Rituel ne se referment sur lui. Il n’en peut plus. Ce n’est qu’une évidence, ce qu’il ressent pour elle. Ce qu’il a toujours ressenti, ce qu’il ressentira toujours. Et pourtant … pourtant elle ne semble pas le voir. Pas de cet avis. Alors qu’elle ne bouge pas pour le laisser entrer. « What are you doing here? »

Il n’a pas le temps de répondre qu’elle enchaîne. « Did you get lost? » Ô, cruelle créature. Se détachant de l’embrasure de son entrée, Ozan se tient debout. Beaucoup trop attaqué pour que ses paroles ne l’aident à dessaouler de suite, il gagne cependant quelques points de lucidité devant la froideur de la femme, lui faisant le même effet qu’un seau d’eau glacée sur la tête. « I told you I’d c… » « Go home, Ozan. » « No. » Il ne saurait dire si c’est un ordre qui claque, ou une supplication déguisée, ou encore si cela sonne comme un caprice d’enfant. Ou simplement une syllabe malhabile qui lui échappe. De terreur. « It’s not a home. » Ses paroles et ses pensées ne font plus grand-sens. Et pourtant, peut-être pour la première fois depuis plusieurs jours, le Saab a tombé le masque et est juste honnête. Le Night Lodge l’étouffe. On ne peut pas parler de foyer quand son bureau est juste en-dessous de son lieu de vie. Mais ce n’est pas pour ça qu’il est venu. « I’m tired, Shreya. » Ce n’est pas ce qu’il avait prévu. Il avait prévu de lui sourire. De la complimenter. Avant de lui dire à quel point elle lui manque. La supplier s’il le fallait de lui donner une seconde chance. Mais même lui se rend bien compte qu’il n’a aucune chance d’y parvenir, pas en tanguant comme il le fait. « You told me to do what I want. And I wanted to see you. » Même si la belle, cruelle, le lui a demandé la Nuit du Nouvel An. A un moment où il aurait effectivement tout donner pour la serrer contre lui. En envoyant promener ses responsabilités. Mais c’est un luxe qu’il ne peut se permettre, quelque chose qui lui est impossible. Ce qui a toujours été le problème, quelque part. Et même s’il a accepté la couronne avec grâce, même si son peuple sait qu’il est prêt à tout pour eux, ils ignorent qu’il a déjà renoncé à ce qu’il avait de plus cher pour occuper ses fonctions. Une vie dont il rêvait, un futur qu’ils auraient dessiné à deux. « I needed to see you. » Et les Etoiles savent que la voir n’est pas suffisant. Que là, en face d’elle, il ne brûle que de voler ses lèvres. De la serrer contre lui. D’embrasser chaque parcelle de sa peau, pour la redécouvrir, pour lui signifier à quel point elle lui a manqué. L’alcool gronde dans ses veines. Mais il ne fera pas un geste. Parce qu’il n’en a pas le droit. Parce que, sans invitation, il ne fera rien. Parce que s’il est capricieux, s’il est exigeant, il ne prend rien qu’on ne veuille lui donner. Et il semblerait qu’elle n’ait, pour l’instant, aucune envie de le voir approcher. « Can I come in ? Please ? » Il aurait sans doute ajouté une plaisanterie sur le spectacle d’un Suprême laissé à la porte. Ou d’une voisine le kidnappant. Peut-être. Mais pas là. Parce que tout ce qu’il veut, c’est du temps avec elle. Et si ça veut dire se taire, si ça veut dire la laisser le regarder de travers en silence pour un temps … il le fera. Jusqu’à être trop blessé pour supporter quoi que ce soit, peut-être. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il a besoin d’elle. Et que repartir comme ça, après avoir fait ce bout du chemin, ce pas en avant, le tuerait certainement. 

Elle en a rêvé de le voir sur le pas de sa porte. Oh, comme elle en a rêvé. Shreya, la femme au cœur intouchable, celle qui aime sans jamais vraiment le faire, celle qui a toujours été capable de se défaire d’un amour dont le temps est résolu. Elle a aimé Feurat le temps de leur romance, n’a jamais regardé en arrière depuis qu’elle a décidé de la fin. Les hommes ne sont jamais parvenus à se faufiler jusqu’au plus profond de son palpitant, voila tout. C’est ainsi qu’elle est, ainsi qu’elle sera toujours. C’est ainsi qu’elle s’est pensée avec Ozan. Fatiguée du manque d’attention qu’il lui a donné, elle s’est contentée de vivre sa vie lorsqu’il n’a pas été capable de trouver du temps pour elle et ses devoirs. Et pourtant. Pourtant elle l’a retrouvé lorsque sa vie a manqué de s’éteindre, au sein de ce danger sans pareille. Et son cœur s’est pris à battre plus vite, à aimer plus fort. Mais elle a toujours été certaine qu’il s’est agi de ce même amour qu’elle a offert a tant d’autres. Certitude précise qui s’est endurcie lorsqu’elle a fatigué de nouveau, lorsqu’elle l’a quitté pour une raison que l’un comme l’autre n’a connu que trop bien. Alors pourquoi ? Pourquoi se retrouve-t-elle à ses pieds des lors qu’il lui offre ne serait-ce que le moindre regard, le moindre murmure ? Elle n’en est pas certaine elle-même. La raison qui fait que si elle ne passe pas ses journées à attendre un message de sa part, le moindre mot la remplit d’une chaleur qu’elle a longtemps oublié. C’est peut-être là ce qui lui fait le plus mal, ce qui rend le tout si difficile. Elle a rêvé de ce moment. Mais le moment est bien loin des rêves.

« No. » « Excuse me? » Le mot sonne violent, comme un ordre qu’il a pourtant appris à ne jamais lui donner. Et pourtant. Pourtant le fond de son regard parle d’une douleur qu’elle ne peut ignorer. « It’s not a home. » Quelque chose se réveille au fond des Étoiles La Nature ne sait pas encore vraiment ce qui s’y cache, mais elle attend, patiente. « I’m tired, Shreya. » Oh, elle le voit qu’il est fatigué. Elle le voit sur les lignes profondes qui habite son visage, elle le voit dans l’état piteux dans lequel il s’est mis. Plus encore, elle le ressent au plus profond de son essence, chaque goutte de sa magie hurlant que le moment est venu de respirer. « You told me to do what I want. And I wanted to see you. » Son souffle se coupe un instant. Les mots qu’ils ont échangé lors du rituel de la Lune ont réchauffé son cœur, l’ont étreint avec douceur. Et puis elle s’est prise à les délaisser, mensonge en lequel elle continue de croire, elle a pensé pouvoir les oublier. Pourtant. Pourtant alors qu’elle a découvert son odeur, qu’elle a ressenti sa présence, son palpitant s’est emballé. Pourtant… « I needed to see you. » Pourtant il se prend à aimer de nouveau. Qui aurait-cru que cela serait si facile ? La dureté de son visage s’est calmée, même si elle n’oublie pas l’odeur putride de l’alcool qui continue d’émaner d’Ozan. Elle se contente du silence un long moment, aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce qu’il parle de nouveau. « Can I come in ? Please ? »

Elle le fixe un moment. Sa poigne s’empare d’un morceau de tissue qui flotte du bout de sa ceinture. Dans un geste fluide qu’il connait par cœur, ses mains relèvent sa lourde chevelure, l’attache légèrement. La brise nocturne qui se faufile de la fenêtre ouverte trouve son chemin jusqu’à sa nuque, elle qui se prend à ressentir une étrange chaleur. Ses lèvres ne répondent pas à la question, mais alors qu’elle se retourne, la porte reste ouverte. Ses pieds nus retournent à la table qu’elle a quitté il y a peu de temps, alors que ses doigts arrangent la paperasse en piles précises qu’elle finit par délaisser. « Sit down, » lance-t-elle en montrant le canapé sur lequel il leur est arrivé de passer de longues journées sans jamais vouloir se défaire l’un de l’autre. Son appartement n’est qu’espaces. Un loft au sein duquel elle est reine, a ces détails architecturaux si particuliers à la Spring. Une seule pièce, ou presque, voilà que la cuisine devient bureau, se transforme en salon sans même y sembler. Quelques marches mènent à ce que l’on peut imaginer être une chambre, simplement part la présence d’un lit, les formes dissimulées par de larges tissus si fins que la vue n’est pas complètement dissimulée. Tout n’est que couleurs, parfois pastelles, parfois vives, qui dansent dans une harmonie qu’elle est une des rares à maitriser. Au sein de la cuisine, elle s’affaire, lançant des regards a son invité à intervalles régulier. « What happened to you? Meetings were that bad? » Dans un verre, elle ajoute des ingrédients aux couleurs étranges, aux odeurs particulières. Une fois finie, elle rejoint Ozan jusque sur le canapé, lui tend le verre un sourire aux lèvres. « I’m not having you puke on my couch. » Il la connait, la concoction pour l’avoir avalée de nombreuses fois plus tôt. Tout comme elle sait qu’il ne la supporte pas, que le gout a lui seul manque de lui faire perdre tous ces moyens. « Drink or you’re out, hun. » Douce vengeance, peut-être. Mais il y a quelque chose de douloureux dans toutes ces choses que tous les deux connaissent. Ce quelque chose qui ne fait que rappeler a Shreya qu’ils ont déjà essayé, plusieurs fois, et que cela n’a jamais marché. Qu’en est-il de cette fois-ci ? « Why are you here, really? » demande-t-elle une fois la boisson finie. « I know you said you’d come. And I know I said I wanted you to. But it was after… you know, we weren’t right. » Ses jambes se croisent, elle lui fait face. « I mean I… » Son soupir est lourd. « Why is it you only ever come to see me in this state? » Elle inspire comme pour continuer... « Am I… » Et puis elle hésite. Elle le fixe un moment. « Is this all I’m worth, Oz? »

Elle va le renvoyer chez lui. C’est une certitude qui l’étreint lorsque le silence les enveloppe. Et même si la pensée seule lui est insupportable, même s’il s’est promis de ne pas accepter le refus, il s’exécutera. Parce qu’il n’a pas le droit de s’imposer, à aucun moment. Pas après tout ce qu’ils ont vécu, pas après ce qu’elle a traversé à cause de lui. Il sait. Il sait que c’est à cause de lui qu’ils en sont là, séparés par le pas de ce qui aurait pu sans doute être leur chez-eux, by now. Une certitude qui le ronge, qui le laisse éveillé, essoufflé la nuit, qui lui fait se perdre ailleurs. Parce qu’il n’a pas le droit de lui imposer quoi que ce soit. Il a déjà eu une seconde chance, qu’il n’a pas su saisir. Alors en réclamer une troisième relève à n’en point douter d’un toupet monumental. S’ils n’en sont pas là ? Certes. Mais l’inviter à entrer, c’est faire un pas. Un pas qu’elle n’a pas l’air prête à faire. Quand elle bouge, il craint, un moment, que ce ne soit que pour lui refermer le battant au visage. Mais c’est encore plus douloureux. C’est pour effectuer un mouvement qu’il connaît par cœur. Et il visualise si bien ses propres mains glisser se ce poignet, s’emparer du tissu, relever ses cheveux avec pour mieux embrasser sa nuque. Des souvenirs trop précis, des sensations trop vives qui lui laissent la bouche sèche. Et elle se détourne. Laissant la porte ouverte. L’invitation est muette mais suffisante pour lui offrir une once d’espoir. Il ne se fait pas prier et se glisse – ou plutôt, croit se glisser, tangue, plutôt – à l’intérieur de l’appartement, refermant soigneusement derrière lui. La porte claque trop fort, loin du silence habituel qu’il sait faire régner, surtout sous le manteau étoilé. Ses yeux ne la lâchent que pour se gorger de l’espace. This. This is a home. This feels like home. Et c’en est douloureux. Encore plus quand ses mots résonnent, « Sit down, » et qu’il sait exactement où aller, sans même voir ce qu’elle désigne.

Tout lui revient, alors qu’il prend place, la pulpe de ses doigts effleurant le canapé dans lequel ils se sont enlacés, embrassés, ébattus tant de fois. Les bruits venant de la cuisine également. « What happened to you? Meetings were that bad? » « You have no idea, » murmure-t-il en réponse, pas tout à fait là, luttant contre son esprit qui tente de le ramener à quelques heures auparavant, dans une de ces réunion interminables qui s’enchaînent depuis les événements tragiques du Rituel avorté. Aucun répit. Jamais. Mais quelque chose vient l’en distraire, qu’il accueille avec un plissement de nez. La potion infernale et la déesse de la vengeance qui le lui sert, non sans un sourire. « I’m not having you puke on my couch. » La grimace qui se peint sur ses traits est sans doute l’émotion la plus authentique qu’il exprime silencieusement depuis des jours. Qui s’accentue quand la sentence tombe : « Drink or you’re out, hun. » « You really hate me that much, uh ? » Et pourtant il y a une douceur dans ce geste, quelque chose de familier, de tendre qu’ils ont partagé et qui revient. Ce qui fait qu’il s’exécute sans même protester. Même si quand la mixture glisse le long de sa gorge, un haut-le-cœur le secoue. Le verre trouve rapidement la table basse, sur un sous-boc qu’il n’a pas manqué de repérer. Tout pour ne pas attiser le courroux de la belle et risquer de devoir réitérer l’exploit de rester digne en avalant une infâme mixture. Enfin, digne … l’est-il réellement ? Surtout quand elle est si proche. Et qu’elle pose des questions qui font mal, sans lui laisser le temps de respirer. « Why are you here, really? I know you said you’d come. And I know I said I wanted you to. But it was after… you know, we weren’t right. » Une inspiration. Douloureuse. Y avait-il une date d’expiration à son invitation ? « I mean I… Why is it you only ever come to see me in this state? » Parce que c’est le seul moment où il trouve le courage de le faire. Parce que … « Am I… » Am I what ? Il reste suspendu à ses lèvres. « Is this all I’m worth, Oz? » « What ? No ! »

La protestation est un cri du cœur. Il s’est avancé, sa main s’est posée dans un réflexe sur le genou de Shreya. Qu’il retire immédiatement, comme s’il s’était brûlé. Il n’a pas le droit de faire ça. Mais les mots viennent de le toucher au plus profond. Il s’humecte les lèvres, tente d’organiser ses pensées. Mais il n’y a qu’une chose qui est certaine, c’est l’urgence de clarifier les choses : « How can you even think that ? » D’accord, les apparences sont contre lui mais ce n’est même pas quelque chose dont il est conscient, pour le moment. « It’s just that … I wouldn’t dare in my normal state. » C’est honnête. Ça sort du cœur. Et c’est les yeux dans les yeux qu’il le lui dit. Qu’il confesse le point auquel il est lâche. « I wanted to run to you. So many times. To beg. To tell you how much I miss you. Every hour of every day. Every minute of every night. » La déclaration est inattendue, même pour lui. Il n’y a rien de réfléchi. Il a rendu les armes sur le pas de sa porte. Et il n’aura sans doute droit qu’à un seul essai. Alors tant pis. Tant pis si c’est trop précipité, si c’est trop rapide. Il pense chaque mot. Et les dira. « And it’s true that you deserve more. So much more than this. » Que lui, débitant ses âneries sur son canapé, visiblement complètement mort. Mais chaque seconde est sincère. Chaque mot vient du cœur. « And I am sorry. For that, for everything. But I need you. and that’s why I am here. » Il aurait pu faire tomber ses vêtements qu’il n’aurait pas été plus à nu. Les étoiles dans les yeux du Suprême scintillent un peu trop fort, alors qu’il raccroche ses prunelles aux siennes. Et pourtant, s’il y a de l’espoir, il y a aussi une forme de résignation. Parce que si elle le repousse, il ne réessaiera pas. Par respect pour elle. Il est prêt à retourner s’emmurer dans son monde de solitude, à se perdre en politique. A accepter, si elle le repousse une ultime fois, en toute connaissance de cause.

C’est une question qu’elle s’est posée de nombreuses fois. Alors qu’avec d’autres, elle s’est contentée de voir ce qui ne pourrait jamais être avec aise, alors qu’elle les a délaissés sans même un regard en arrière, voilà qu’Ozan… Oh, Ozan. Alors qu’il s’est enfermé dans un bureau de longs jours durant, elle s’est prise à douter d’elle-même, la Nature. En demandait-elle trop ? Peut-être qu’elle a été celle qui a trop poussé jusqu’à ce que la douleur touche à sa fin. C’est surement pour cela qu’elle a fui avec autant de violence, qu’elle l’a abandonné en laissant derrière elle le gout salé de celle qui a besoin de plus. Et elle s’en veut, oh comme elle s’en veut. Alors de le revoir, de redécouvrir ses courbes sous la lumière colorée de son appartement, elle ne sait quoi en faire. Dit-elle lui offrir le calme, la douceur, la colère, ou encore cet amour qu’ils ont si longtemps partagé ? Elle ne sait pas. Et cela la tue, de ne pas savoir. Elle ne sait pas parce que c’est presque si elle a eu peur de toucher ces cartes qu’elle connait par cœur, celles qui l’ont si souvent prévenue de ce qui l’attendait. Que dirait-elle désormais ? Qui sait.

« You really hate me that much, uh ? » Sa bouche ne peut retenir un léger sourire, étirant le coin de ses lèvres avec douceur. Sourire qui se transforme presque en rire alors que le liquide arrache un haut le cœur aux Étoiles. Et puis le sourire disparait. Et puis il se fane. Parce que pour la première fois, elle partage des doutes qu’elle a du mal à s’avouer à elle-même. Et s’il n’a besoin d’elle que le temps d’un moment, alors qu’il est même trop perdu pour être certain du monde qui l’entoure ? What then? Elle le connait l’état dans lequel il se trouve, le suprême. Elle le connait pour l’avoir partagé plus jeune, lorsqu’une de ces plantes qu’elle se prend à utiliser afin de voir le monde s’est insinuée trop profondément au sein de ses veines. Elle est accroc au monde, Shreya. Accroc à la nature, accroc à la magie, accroc à… lui. Est-ce réellement tout ce qu’il représente ? Une autre addiction dont elle se doit de se débarrasser ? Peut-être. Peut-être que si la réponse qu’il lui offre ne lui convient pas elle devra tirer un trait sur leur passé, sur leur histoire. Elle possède des informations sur les Saab qui feraient d’elle un héros du Printemps. Des informations qui détruirait le reste du monde. Quelques mots, voilà tout ce dont elle a besoin. Quelques mots, voilà tout ce qui se tient entre son paradis et son enfer.

« What ? No ! » Surprise. Il y a quelque chose dans le soudain de la réponse qui l’interpelle. Plus encore que la certitude qui s’en échappe, c’est le toucher qui est apposé contre sa jambe qui l’immobilise. Pourquoi ? Parce qu’elle y retrouve cette douce chaleur qu’elle désire tellement. Parce que malgré la surprise, le tout semble douloureusement naturel, comme s’ils avaient déjà retrouvé ce qu’ils pensaient avoir perdu. Et puis la main s’éloigne. Et puis elle est en manque. Immédiatement, comme si le contact lui-même suffit à lui rappeler ce qui fait qu’elle ne peut vivre sans ses Étoiles. « How can you even think that ? » Mais peu importe le rythme de son cœur, la chaleur de son être, elle n’en laisse rien paraitre. Elle devient l’espionne qu’il a toujours connu sans jamais le savoir, celle qui semble impassible, qui connait sans cesse les bonnes réponses. Plus encore, elle est celle qui pose les bonnes questions, celles qui laissent échapper un petit quelque chose qui ne devrait jamais glisser d’entre les lèvres du monde. « How can I not? » répond-elle simplement. « It’s just that … I wouldn’t dare in my normal state. » Son visage demande d’en savoir plus. Silencieuse, elle maintient le regard d’Ozan, attend avec patience qu’il lui dise ce qu’elle a envie d’entendre. « I wanted to run to you. So many times. » Shreya aurait demandé ce qui l’en a empêché. L’Espionne se tait. « To beg. To tell you how much I miss you. Every hour of every day. Every minute of every night. » Le cœur se réchauffe, s’élance sous le joug de sa drogue préférée. L’esprit observe, curieux. « And it’s true that you deserve more. So much more than this. » Elle le sait. Voilà bien une chose pour laquelle l’esprit et le cœur se rejoignent, se retrouvent, ne font qu’un. « And I am sorry. For that, for everything. But I need you. And that’s why I am here. »

Le silence coule, long. L’Espionne décortique les mots, y cherchent des faiblesses, des mensonges, de ces choses qui la pousseraient à en finir. Mais quelque chose se met sur son chemin. Le ton est profond, douloureux de par sa vulnérabilité. Plus encore, c’est le sentiment qui suinte de chaque pore de l’homme qui la force à s’effacer. Alors elle n’est plus. Alors c’est Shreya qui inspire profondément, ce sont ses lèvres qui s’entrouvrent. « Thank you. » Son visage se réchauffe, masque chaleureux de celle qui a finalisé une décision qu’elle a si longtemps attendu. « Thank you for not lying to me. » Parce qu’elle le sait bien qu’il l’a fait, encore et encore. Excuses et mensonges, tout afin de ne pas la perdre, tout afin de prétendre que tout allait bien. Mais le monde ne va pas bien. Le monde s’écroule. Alors autant sombrer à ses côtés. « I was glad to see you, I truly was. But I can’t pretend and say I wanted to see you like this. » Ses doigts s’emparent du verre vide au fond duquel se trouvent les restes d’un liquide poreux. « I don’t give a shit about excuses, Oz, you know this. » Son regard observe le verre, s’y perd un long moment alors que la brise nocturne s’accentue délicatement. « I want you, not the broken child who decided to get one too many drinks at the bar. » Ses yeux retrouvent les océans nocturnes. « We already tried. Twice. And it ended. Twice. For the same reason. So why should I try again? » La question sonne rhétorique, comme si elle en connait déjà la réponse. « Maybe because a little bird told me it was the right time… » Alors qu’elle repose la fin de boisson sur la table, quelques chants d’oiseaux résonnent au loin.

Il est clair qu’elle a lu quelque chose au travers de ce liquide que peu sont capables de reconnaitre. Une forme délicate qui a murmuré quelque chose à ses oreilles.

Elle est accroc, Shreya.
Accroc au monde.
Accroc à la magie.
Accroc à lui.

Nouveau silence. Et celui-ci est extrêmement douloureux, alors que le souverain ne sait que faire. Et ne peut rien faire. Attendre semble être sa seule option. Et pour quelqu’un pour lequel la patience n’est pas la première vertu, c’est une épreuve. Surtout après avoir déposé son cœur aux pieds de la créature de rêve qui est assise à ses côtés. Il ne pressera pas, cependant. Il lui doit bien ça, et tellement plus encore. Parce qu’il vit chaque jour avec la culpabilité, qui s’ajoute au manque d’elle. Parce que tout est de sa faute, et il le sait. Et si elle le laisse faire, il passera le restant de ses jours, de leurs jours à se faire pardonner en bonne et due forme. Pour l’heure cependant, il ne semble pas que les choses en prennent le chemin. A quoi s’attendait-il ? A rien. S’il y a bien une certitude, c’est que rien n’est sûr avec Shreya. Indomptable, imprévisible, sauvage. Férocement indépendante. Tout ce qu’il aime chez son aînée, qu’il admire. « Thank you. » Il ne bouge pas. Il n’y parvient pas. Sa respiration, qui semble pourtant calme, manque de lui échapper. Merci ? L’incompréhension passe dans le fond de son regard déjà embrumé. « Thank you for not lying to me. » Les sourcils se froncent, alors qu’il considère les traits un peu plus détendus de la femme. La situation lui échappe, il ne saisit pas ce qui est en train de se produire. Pourquoi lui aurait-il menti ? En serait-il seulement capable dans son état ? Sans doute pas. Et c’est vulnérable qu’il s’est montré, sans l’once d’un artifice, qui sont pourtant son quotidien, comme une seconde peau depuis que le pouvoir lui est revenu. Alors pourquoi ?

« I was glad to see you, I truly was. But I can’t pretend and say I wanted to see you like this. » Evidemment pas. Et l’homme a le bon goût de rester silencieux. Il lui a déjà expliqué son état, se répéter ne sert à rien. Ce qu’il retient, c’est qu’elle est heureuse de le voir. Que son invitation à la rejoindre n’avait donc pas expiré. Et c’est un soulagement, sans conteste possible. Ses yeux voudraient trouver les siens, mais ceux de la dame du Printemps sont rivés sur le verre qu’il a abandonné quelques secondes auparavant. « I don’t give a shit about excuses, Oz, you know this. » Bien sûr qu’il le sait. Des mots ne suffisent pas, n’ont jamais suffi avec elle. Et cela lui convient. D’où sa présence. Parce qu’il sait que les messages échangés n’ont pas été assez et ne le seront assez. Qu’il fallait qu’il vienne, lui-même, pour lui dire, pour lui montrer à quel point il la veut. A quel point il est sérieux, quand il lui dit qu’elle lui manque. « I want you, not the broken child who decided to get one too many drinks at the bar. » Et elle le regarde, finalement. Ses prunelles s’accrochent aux siennes, avec quelque chose qui ressemble à de l’espoir. Ou l’énergie du désespoir ? Un mélange assez perturbant des deux. Il voudrait répondre, les mots se bousculent mais il les contient. Ce n’est pas son tour. Et il n’a pas l’intention de briser ce moment. Pas alors qu’elle est sur le point de lui donner la clef qu’il espère depuis si longtemps. Ou de lui fermer la porte au nez. « We already tried. Twice. And it ended. Twice. For the same reason. So why should I try again? » Protester. Argumenter. Il aurait pu. Si elle lui en avait laissé l’occasion. « Maybe because a little bird told me it was the right time… ».

Il n’y a plus rien, soudainement. Ni dans l’esprit de l’enfant de la Nuit. Ni entre lui et la divine apparition qui hante ses pensées. Peut-être est-ce brutal. Peut-être aurait-il du se contenir. Mais les mots, ceux qu’il a attendus ont brisé les chaînes qui le retenaient prisonnier. Qui contenaient son cœur. Et ses mains viennent s’apposer dans le cou de Shreya, alors que ses lèvres capturent les siennes. C’est bref. C’est fugitif. Parce qu’il se souvient, sans doute, de son haleine. Parce que c’est tout ce dont il a eu besoin, pour se persuader que ce n’est pas un rêve. Que c’est bien elle qui a prononcé ces mots. Son visage se détache du sien, momentanément, alors que son front vient se poser sur celui de la belle. Ses yeux débordent d’excuses, une seconde, avant qu’il ne les ferme : « Sorry. » De ne pas avoir su se retenir. C’est un murmure brûlant, qui n’est cependant qu’à moitié désolé. « You need to know that every me wants every you. » Ses longs doigts viennent lentement remonter la nuque de la femme, pour se perdre dans les boucles brunes dont le toucher lui est si familier. « And if it is the child that found the courage to come here, the man is ready to do whatever it takes to make it up to you. » Il resterait des heures comme ça, à respirer son parfum, à profiter de sa chaleur. Une part de lui sait qu’il devrait reculer, qu’il doit puer l’alcool à des kilomètres mais il ne parvient pas à s’y résoudre. Pas quand elle vient de dire oui. Pas alors qu’enfin, il se sent complet. Pas alors que les planètes semblent s’être alignées de nouveau. « I will make everything in my power to make you happy, Shreya. You deserve it. And so much more than this. » Une promesse, qu’il ne fait pas à la légère, bien que semblant imbibée d’alcool. Parce que les souvenirs de cauchemars récurrents viennent de le faire frissonner. Parce que l’idée de la perdre de nouveau, quelle qu’en soit la raison, alors qu’il vient juste de la retrouver, lui est insupportable.