(flashback) l'hiver et la nuit n'ont su s'aimer ✧ Kai

La démence s'enivrait de l'hiver.
Loin de la fièvre new yorkaise, de l'euphorie mondaine, l'archet embrassait les cordes où venait mourir le fil branlant de son aspiration, avec la certitude que la folie couvait mais jamais ne disparaissait - parce que la démence s'enivrait de l'hiver. Car dans les souvenirs de l'enfant ne demeurait que ces yeux: ces yeux noirs d'une nuit sans lune et sans étoiles, une bourbier persistant, une mer d'encre et de tourment. Des yeux qui ne refermaient plus aucun amour, écrin sans joyaux, carcasse privée de sa flamme, de son océan, de son univers, de sa plus modique oxygène. Plus vide, plus profonde qu'elle même - ah car c'était sa faute si le brasier s'était éteint, sa faute sur leur histoire avait été sacrifier sur la guillotine de ses regrets.

Le son du violoncelle est étourdissant, entêtant dans ces soirs solennels de céleste et d'absolutions où les amants se perdaient au creux des amantes dans l'espoir d'étancher le prurit de leurs idolâtries. Comme elle avait un jour vibrer au rythme de Caïn - Caïn qui se glissait sous son épiderme tel l'extase dont elle avait fredonner les louanges. Elle, la perdue, la sacrifiée, l'amante éprouvée qui avait découvert la véritable signification du mot aimer.

Leurs promesses, leurs serments, leurs parfums, leurs odeurs, elle les avait cachées, ensevelies, quelque part à l'abri des regards, avec l'espoir qu'un jour peut être, ils renaitraient d'un gouffre interdit à leurs songes, comme s'élèvent au ciel les étoiles rajeunis, après s'être noyé au creux des mers et des océans. Avec l'idée qu'il subsisterait quelque part un bout de Caïn qui se languirait d'une Nora déchue, des errances au goût de mensonge, de leurs amours imaginaires où les je t'aime revêtaient soudainement leurs robes éternelles. Un radeau sans voile et sans frontière où l'alliance ornerait l'annulaire d'une Nora qui appartiendrait à Caïn. Quand les yeux fermés, bercer par la valse des flots, elle respirerait l'odeur de ses cheveux avec la certitude qu'ils finiraient par échouer sur des rivages heureux. Parce qu'ils auraient fait leur révolution.
Leur minable petite révolution.

▬ Mademoiselle, quelqu'un demande à vous voir.

La rêverie s'interrompit, presque aussi vite qu'elle était survenue. L'archet se suspendit, comme son souffle, comme sa vie - il lui semblait qu'elle ne faisait que ça ses derniers temps, se suspendre en attendant que son corps finisse par chuter dans le vide. Elle ne répondit pas, bien sûr, car ces derniers temps elle peinait à répondre. Les mots s'étaient fait absents, de vulgaires noeuds mal attaché, vestige de l'horreur de ses péchés, des beaux mensonges radieux - radieux comme ces yeux.

▬ Je le fais entrer et je vous apporte une tasse de thé.

Elle avait légèrement détourner le regard, abandonnant le tableau de la cour enneiger pour focaliser son attention sur la véranda. C'était inhabituel, les visites, la compagnie, elle ne savait plus exactement à quand sa dernière conversation, après le départ de Caïn elle s'était tut tout simplement. Et peut être n'y avait-il plus que l'entêtement de Kai pour absoudre la barrière de ses lèvres.

Kai il adorait se mêler de ce qui ne le regardait pas. Pour tromper l’ennui autant que pour ne pas avoir à s’attarder sur ce qui ne tournait pas rond chez lui. Mais cette fois c’était différent, y avait comme une sirène qui sonnait l’alarme dans son esprit. Une petite voix qui lui vrillait les tympans en arrière-plan pour lui souffler d’insister, de creuser toujours plus profond, de ne pas se laisser décourager devant cette porte que Caïn gardait fermée. Il avait beau taper, hurler, menacer, supplier, rien n’y faisait. Le silence pour seule réponse, l’inquiétude croissante qui rendait ses tentatives chaque fois plus désespérées. Il lui fallait à tout prix trouver le moyen d’entrer.

Mais son adversaire était de taille, doté d’une obstination dévorante de se murer dans l’isolement après avoir lâché sa bombe. Quelques mots sur un écran de téléphone d’où perçait autant la colère que la douleur et qui avaient fait accourir Kai. « Fine. Don’t open the fucking door, I’ll get my answers elsewhere but you better be alive when I come back or I swear I’ll find a way to bring you back and kill you myself. » Il rendait les armes seulement pour partir en quête d’un nouveau combat Aelan. Des pourquoi en guise de lames qu’il lançait dans le vent, essayant de trouver un sens à ce retournement de situation, le sorcier traversa l’Upper East Side comme un fou qui se serait échappé de l’asile.

Le mordant de Lower Manathan n’apaisa en rien sa colère qui battait la mesure de son cœur à ses tempes. Il leur donnait raison à ces œillades chargées de jugement, bousculant les inconnus comme s’ils n’étaient rien d’autre que des obstacles en travers de son chemin. Et tant pis s’il s’attirait des ennuis qu’il se disait, y avait rien d’autre qui comptait en cet instant que le fait de mettre la main sur Nora pour lui faire cracher le morceau. C’est transi de froid qu’il mit pied dans la demeure pour l’y débusquer, feignant une visite de courtoisie pour qu’on l’y laisse entrer. Le domestique le guida dans le faste hivernal après de longues minutes d’attente qui avaient manqué de le frustrer.

Le grognement d’agacement au fond de sa gorge mourût lorsqu’il posa ses billes noires sur la silhouette frêle de la criminelle. Il se contenta de la fusiller du regard en silence tandis qu’on leur servait le thé, comptant les secondes qui s’étiraient en espérant qu’on les laisse enfin seuls. Ce qui finit par arriver sauf qu’il ne savait même pas par où commencer. Alors il dégaina sa seule et unique arme, celle qu’il avait aiguisée en chemin en se souciant trop peu des mines confuses que les passants avaient échangé. « Why ? » Aussi simple que ça. Pas besoin de beaux discours ou de tirades sensées blesser, juste un mot, un seul. Un ordre plus qu’une question, une supplique sous couvert de malédiction. Pas de cris ni d’hurlements, juste ce ton un peu trop sec qui trahissait le côté éphémère de cette attitude bien trop calme pour ne pas paraître suspecte. Qu’elle parle ou il la ferait taire à jamais, se jurait-il en sachant pertinemment qu’il mentait.

C'est comme une poussée soudaine, l'embardée qui agite ses pensées, qui les fait tanguer, comme une locomotive lancée à pleine allure qui l'agiterait. T'es pas obligée de répondre, chuchote une petite voix ténue, repliée quelque part, dans les couloirs de sa conscience .
Ca fait des jours que tu n'as plus répondu à personne.

Mais ça tangue;
Mouvement nauséeux et lancinant, cadence maritime de tempête de bout du monde, avec ce regard qui oscille d'une pupille à l'autre, d'une accusation silencieuse aux prémisses d'une condamnation. Elle ferme les yeux Nora, en se disant que, ça tangue vachement la dessous, avec une cadence de fin du monde.

Est-ce qu'il le savait Kai, qu'elle avait échouée dans son rôle de mère?
Est ce qu'il le savait qu'elle sombrait Nora? A chaque regard. A chaque murmure sur son passage. A chaque mensonge. Qu'elle s'y était brûlée la gorge à la violence de ses silences. Qu'elle s'en était étouffée, aux sanglots sans échos, au désespoir de son impuissance. C'était le drame de son arrogance, de son trop plein de confiance, de cette certitude qu'elle avait que dans le fond, son père était quelqu'un de bon. Un être dur mais qui l'aimait avant toute chose. Quelqu'un qui ne lui ferait jamais de mal. Qui ne la battrait jamais comme un plâtre.
Elle avait cru tant de chose Nora.
Elle avait cru.

▬ En quoi ça te regarde?

Et de cette voix éraillée, qui trébuche sans réellement se stabiliser, comme emprunter. Pendant un instant, la gymnastique de son psyché s'arrête. Ses yeux sont des billes d'encres, liquide au milieu, comme des petites carafes pleines d'un mauvais goudron qui entacherait tout ce qui passerait à sa porter. Nora, elle hoche légèrement la tête, un sourire ironique jouant sur ses lèvres, le regard lointain, à croire qu'elle n'avait pas vraiment chercher à l'écouter. A comprendre ce qui avait bien put l'y pousser, qu'il n'était que l'indicible conséquence du mal qu'elle avait semée. Par un rejet et un coeur brisé.

Mais sa souffrance, elle aurait voulu la conserver, un peu égoïstement, dans l'isolement de sa pénitence. Lorsque parfois, la nuit tombait dans son esprit, dans un bruit de verre de cassé, de cris étouffés que l'on avait rapidement réprimé, chape de ténèbres devant ses yeux. Lorsque ses doigts devenaient glacées, tombeau de grains doux, et il ne pouvait plus marcher, ni ici, ni là, et sa gorge était brûlante comme une vitre griffée. Le vent hurlait fort au-delà de ses oreilles. Sa tête n'était plus qu'une bourrasque écœurée, une grande fleur maladive qui refermait ses mâchoires de pétales pourrissantes sur une silhouette révulsée et chétive. Qu'elle se sentait seule, si seule.
Tout en était certaine qu'elle méritait, d'être seule.

▬ Est- ce que tu ne devrais pas être occupé à veiller sur lui?

Avec sa main qui se refermait sur la chaleur de la porcelaine, qui doucement la portait à ses lèvres. Elle aurait préféré y rester retrancher, dans son nuage de poussière. A ne pas se soucier de comment Caïn se sentait, à ne pas espérer y cueillir deci delà, quelques précieux renseignement. Est ce qu'il mangeait correctement? Sortait parfois de son appartement? Est ce qu'il avait sut les retrouver, lui, les jolis mots? Ceux qui le rendaient toujours si beau. Caïn, il n'avait pas la science des belles lettres ou la plume de poète, mais crépitait en son sein quelque chose de viscéral, de dangereusement sincère. Une spontanéité rare. Qui parfois, ne désirait rien de plus que votre propre trépas.