Tell me your tales Ψ Sung Jae

Le soleil se lève à peine lorsque je plonge dans l'Hudson River. L'eau froide ferait frissonner n'importe qui, mais certainement pas un sorcier de la Summer et encore moins un qui passe autant de temps que moi dans l'eau. Sans la moindre difficulté, je me propulse, profitant du courant et de l'absence de nageur pour prendre de la vitesse. Je ne suis pas particulièrement accro à la montée d'adrénaline qu'une telle allure peut procurer, ceci dit c'est toujours plaisant et, aujourd'hui, nécessaire. Néanmoins, je prends bien soin de rester autant que faire se peut au fond de la rivière. Pas parce que je crains de rentrer dans une coque de bateau ou parce que je tiens absolument à observer les fonds marins mais parce que je ne veux pas me faire remarquer. Ma destination n'a pas besoin d'être connue. Parce qu'aller sur Staten Island, même pour les sorciers qui tolèrent les humains comme la plupart des membres de mon coven, c'est soit risqué, soit louche.

Oh bien sûr, ce n'est absolument pas interdit, tout sorcier est libre d'aller et venir où il l'entend, les ferrys de l'Autumn sont accessibles à tous, mais je ne veux pas éveiller de soupçons. J'aurais pu emprunter une des embarcations clandestines qui, si vous savez où chercher, ne sont pas si difficile que ça à trouver, mais dans l'éventualité d'une interception par mes congénères sorciers, j'aurais eu beaucoup de mal à expliquer ma présence sur une embarcation illégale à destination de l'endroit le plus suspicieux de New York sans passer pour un traître à mon sang. Et puis, quand on peut respirer sous l'eau et voyage incognito et tout aussi rapidement par voie marine, pourquoi s'en priver ?

Les rives de Staten Island se devinent rapidement et je ne tarde pas à mettre pied à terre, non sans vérifier à plusieurs reprises que la voie est libre et que personne ne m'aperçoive. Parce que si je ne veux pas me faire remarquer par les sorciers, je ne veux pas non plus me faire remarquer par la communauté humaine. Un sorcier sur Staten Island, c'est très mal vu. Mais un sorcier qui s'infiltre sur l'île, c'est carrément du suicide. Alors c'est à l'abri de buissons que je me sèche d'un mouvement de main et que j'enfile mon costume d'humain - des vêtements tout ce qu'il y a de plus commun - avant de rejoindre le port.

Si je me donne la peine de prendre toutes ces précautions et si je viens sur Staten Island à la base, ce n'est pas pour rien. Une fois par mois, lorsque mon travail et mes obligations me le permettent, je me rends ici, pour... mener une enquête ? Non, pas vraiment. Pour vérifier les conditions de vie des humains et leur donner un coup de main si je peux. Parce que même si je ne suis pas engagé dans toutes les affaires politiques qui animent notre ville, je ne suis pas insensible au sort de ceux qui ont eu le malheur de naître du mauvais côté de la barrière. Je ne comprends toujours pas pourquoi une cohabitation pacifique entre nos deux races est impossible, mais qu'est-ce qu'un sorcier isolé peut faire contre tout un système archaïque dirigé par des personnes avides de revanche pour des événements ayant eu lieu bien avant leur temps ? Rien, si ce n'est aider de temps en temps. J'ai avec moi un sac étanche contenant plusieurs objets de première nécessité et de la contrebande que je compte laisser dans un endroit fréquenté pour faire un heureux. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est tout ce que je suis venu faire ici.

Enfin non, pour être tout à fait honnête, il y a une autre raison pour ma présence sur l'île : les rumeurs. S'il est important de venir en aide aux humains, il est tout aussi important de se tenir au courant de ce qu'ils pensent de leur situation - même si ce n'est pas difficile à imaginer - et surtout de ce qu'ils comptent faire pour y remédier. Si une guerre se prépare - et elle se prépare, c'est certain - je préfère être au courant. Pour l'empêcher ? Non. Pour m'y joindre ? Je ne sais pas. En toute franchise, je n'ai absolument aucune idée de ce que je ferais si un conflit venait à éclater.

Mais comme on dit, savoir c'est pouvoir. Alors je me dirige d'un pas décidé vers l'endroit parfait pour glaner quelques informations : le Mermaid Bar. Quoi de mieux qu'un endroit où les gens viennent noyer leur peine et fomenter des coups d'état pour avoir un aperçu général de la situation ? Je pousse la porte de l'établissement, déjà bien rempli malgré l'heure matinale. Probablement les travailleurs du port venus se retrouver avant d'attaquer la journée. Ou peut-être, comme on en a l'habitude chez moi, les fêtards de la veille qui finissent leur soirée.

Tandis que je me fraye un chemin vers le bar, une conversation attire mon attention et j'y prête une oreille baladeuse : deux hommes, un sale et bedonnant qui a clairement abusé de la boisson critique ouvertement les covens ainsi que les sorciers à l'aide d'un langage coloré et interdit aux mineurs alors que son interlocuteur, un type aux allures de renard avec une paire de lunette cassée en équilibre sur son long nez pointu tente en vain de le faire taire. Il a raison. Je ne risque pas de leur attirer des ennuis, mais si un sorcier plus... stricte... venait à passer par là, je n'aimerais pas être à la place de gras-du-bide.

Je me tourne distraitement vers le bar le temps de faire signe à la jeune femme qui s'affère derrière le comptoir avant de reporter mon attention sur la conversation des deux hommes, de plus en plus bruyante. Je remarque que je ne suis pas le seul à m'y intéresser et que parmi les autres usagers du bar, certains ont l'air tout aussi tendu que l'homme renard. Je ne sais pas si mon instinct est le bon, mais j'ai la vague impression que les choses vont devenir intéressante pour un observateur tel que moi...

( Pando )

Ta journée avait débuté depuis plusieurs heures, et tu attendais déjà avec impatience le moment où tu pourrais retourner dans le lieu abandonné qui te servait de maison, ou plutôt, de campement puisque les lieux étaient à peine aménagés. Tu t’étais levée aux aurores ce jour-à, comme à ton habitude. Dormir une nuit complète avait toujours été impossible pour toi, mais cela était devenu pire encore au fil des années. La librairie dans laquelle tu vivais depuis longtemps avait été dévastée ; la plupart des vitres avaient été fracassées et les murs tenaient à peine encore debout et des fissures courraient le long de ceux-ci, le menaçant de le faire s’écrouler. Tu avais tenté quelques travaux avec des équipements de fortune, tentant de recouvrir le verre brisés par des bâches clouées tout autour des vitres, mais cela avait à peine servit et la nuit, le vent froid qui s’infiltrait ne manquait toujours pas de te frigorifier jusqu’à l’os malgré les quelques couvertures qui te recouvraient.

Mais tu ne te plaignais pas de ton sort, et tu ne l’avais jamais fais. Même si le manque d’électricité et d’eau chaude te faisaient un coup au moral, tu ne le montrais pas. Tu ne pouvais pas te le permettre. Pas alors que d’autres vivaient un sort pire que le tient, non pas que tu sois attristée par ce que ces personnes vivaient. Comment avoir de la pitié pour des inconnus ? Cela t’avait toujours étonnée, cette faculté que certains avaient à se soucier de n’importe qui croisaient leurs routes. Comment pouvaient-ils savoir si ces personnes méritaient une quelconque aide ? Comment savoir si leur bienveillance n’était pas dirigée envers les mauvaises personnes ? Ils ne le pouvaient pas, et c’était pour cela que jamais tu ne ferais cette erreur. La trahison n’avait pas de visage, tu le savais bien. Une personne que tu pouvais aider volontairement pourraient te trahir en un claquement de doigts, elle en était sûre car elle était elle-même comme cela.

Les gens pensaient naïvement qu’en tant que donneuse de faveurs, tu étais liée à une sorte de pacte qui te forcerait à ne pas blesser ou trahir ceux que tu aidaient, mais ce n’était pas le cas. Le seul pacte que tu avais fait était envers toi-même, celui de survivre coûte que coûte, et aucune âme ne pourrait t’empêcher de le faire. C’était comme cela que tu avais survécue jusqu’à aujourd’hui, et que tu te trouvais derrière le comptoir du Mermaid Mar, à écouter le brouhaha incessant des nombreux clients présents malgré l’heure matinale. Solveig avait dû partir, devant régler quelque chose en ville, si bien que tu te retrouvais à affronter cette vague seule. Cela ne t’aurait pas inquiétée en général, mais aujourd’hui, un client semblait motivé à créer des remous et déjà, tu réfléchissais à un moyen de le faire partir sans causer d’esclandre. Ses propos commençaient à rendre les autres clients tendus, et tu craignais qu’une bagarre n’éclate sous peu.

Aussi, une partie de toi voulait simplement le faire taire. Tu n’étais pas comme la plupart de tes congénères et ne vouait pas une haine viscérale à tous les sorciers existants sur cette planète, mais tu ne leur vouais pas une admiration sans limite non plus. Mais entendre les propos de l’homme ne manquait pas de faire remonter ta colère à l’intérieur de toi, si bien que tes doigts se resserraient presque violemment sur les verres que tu étaient occupés à remplir, si fort que tu craignais qu’ils n’explosent et que des morceaux ne s’enfoncent dans la peau de ta main. Heureusement, ton attention fut détournée quand tu vis du coin de l’œil un nouveau client apparaître derrière le comptoir. Te dépêchant de servir la boisson que tu venais de préparer, tu te dirigea vers le nouveau venu quelques secondes après, le saluant d’un signe de tête. Bienvenu au Mermaid Bar, que puis-je vous servir ? dis-tu.

( Pando )

La serveuse s'approche de moi sans que je ne l'ai remarquée et me salue d'un signe de la tête auquel je réponds par un sourire poli. Elle me demande ce que je veux boire et je me rends compte à cet instant que je n'en sais absolument rien... Je n'ai jamais été jusque dans un bar de Staten Island auparavant. J'ai bien fait mes recherches sur l'endroit, mais c'est la première fois que j'y entre. D'habitude, je ne fais qu'un tour rapide avant de repartir, par peur d'être repéré. Et là, en cet instant, c'est cette même peur qui me fait écarquiller les yeux lorsque je comprends que je suis potentiellement sur le point de me faire prendre. Je ne sais pas ce que boive les humains, moi ! Sans doute la même chose que nous lorsqu'ils étaient libres, mais maintenant ? Rien de plus facile pour un humain que de se rendre compte que je suis un sorcier si je demande une pinte de bière alors qu'ils n'en n'ont plus depuis des lustres...

Fort heureusement, je suis habitué à être pris au dépourvu lorsqu'un convive ivre me tombe soudain dessus ou lorsqu'au contraire c'est moi qui fait une rencontre importante alors que je ne suis pas en état. Je laisse donc mon instinct faire, relâche imperceptiblement les épaules et affiche un sourire qui est passé de poli à engageant : "Vous savez quoi, surprenez-moi !" J'espère que ça va passer, et pour ne pas risquer de montrer un quelconque signe de doute à la demoiselle, je me retourne vers les beuglements de ma table favorite pour découvrir qu'un troisième homme a rejoint le duo.

Je ne sais pas ce qui se raconte, mais en tout cas, ça n'a pas l'air très agréable pour l'homme à tête de renard qui s'est presque entièrement recroquevillé sur sa chaise, sans doute pour éviter de prendre une claque de la part de l'inconnu qui les a rejoint et qui gesticule en tapant de son gros poing sur la table et en menaçant du doigt gras-du-bide dans une colère à peine contenue. Je n'arrive pas à reconstituer la conversation, mais il semblerait que le troisième homme ait eu la même réflexion que moi et demande à gras-du-bide de se taire pour ne pas attirer des ennuis à tout le monde.

La serveuse revient tandis que la cacophonie de la table à 3 augmente en décibels et je ne peux m'empêcher de regarder par dessus mon épaule au cas où je rate quelque chose, oubliant de regarder ce que la jeune femme m'a apporté à boire.

"Dîtes, ça arrive souvent ce genre d'altercations par-ici ?"

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, la question est sortie toute seule et n'était pas vraiment destinée à quelqu'un en particulier mais par réflexe, j'ai regardé la serveuse droit dans les yeux. J'imagine qu'elle doit voir passer son lot d'ivrognes et que ce genre de spectacle ne la choque plus, mais si quelqu'un peut me renseigner sur les divergences des humains à propos des sorciers, c'est bien celle qui y assiste à longueur de temps.

J'attends la réponse quand un rire bien gras ce fait entendre et je me retourne juste à temps pour voir gras-du-bide renverser son verre en se moquant ouvertement du troisième homme, qui commence à virer à l'écarlate. Le renard, lui, est maintenant debout derrière sa chaise comme s'il l'avait adoptée comme bouclier de fortune. Maintenant, tout le bar semble investi dans cette discussion qui est sur le point de dégénérer.

( Pando )