(fb) mean girls.

New York leur faisait un cadeau de début de saison.
Soleil sur un plateau, brise douce comme une caresse. Une réminiscence de l'été passé, un avant goût de celui qui viendrait - mais pas assez vite.

Il faisait pourtant un froid d'automne sec et humide, dans les  couloirs de l'université: fumerolle en nuage de vapeur au bout des lèvres, températures flirtant avec les régions basses,  nez rougie, doigts gourds enterrés tout au fond des poches. Mais Nora se sentait vivante, ici, dans les prémisses hivernales. Qu'importe la grisaille automnale et les grommellements de ses camarades, mademoiselle rayonnait de tous ses éclats.

Elle respirait l'air matinale à grande goulée et c'était frais,  gavé d'embruns ouaté. Comme une empreinte piquante laissée à l'intérieur, une petite réserve d'oxygène pour plus tard. Car peut être qu'elle manquerait de souffle, les jours prochains, au milieu des ombres peuplant son chemin.

C'était une drôle de conviction.
Une certitude qu'elle avait là, sommeillant au creux des poumons, lorsqu'un souffle brûlant les gonflait d'une courte inspiration. Elle s'insinuait en elle, malsaine, alors que les doigts de glaçons taquinaient le creux de sa colonne. Car les convictions, elles aimaient voir son visage blême gravé de ces simples filigranes, ces rides incessantes qu'elles dessinaient sur l'étendue d'un front au rythme de ses réflexions. Et elle aurait aimée les chassés par la seule force de sa volonté, ces pensées persistantes, en douceur, avec l'arme la plus délicate qui soit; la chaleur d'un sourire. Poser ses doigts de chaque côté de ses joues dorés, et en étirer les pétales du bout de ses index. Et là, les nuages disparaitraient, transformés en tendre euphorie.
Comme par magie.

Cela aurait du la réconforter. Lui raccrocher le coeur à la bonne place. Mais les pensées givrantes continuaient à la traverser comme des courants d'airs. Il lui fallait fermer les parenthèses, raviver les flammes mourantes, la réalité brute qu'elle abandonnait chaque fois qu'elle mettait un pied ici, sur cette académie refuge, comme si elle prenait possession d'un nouveau corps, devenait une meilleure version d'elle même. Plus brillante, plus heureuse, plus intéressante aussi. Une Nora qui existait pour elle et seulement pour elle.

C'est qu'il y avait tant de chose à faire lorsqu'il n'y avait plus à paraitre des pieds à la tête. Lorsqu'en slalomant à travers la marée étudiante, on était confronté à la plus grande parodie d'une supposée virilité - Kenzo MacKallan, fière solaire de son état. C'est qu'il prenait beaucoup de plaisir le gamin, à se moquer de Sian, à rouler son nom dans la boue - un peu comme toutes ces petites choses que Nora faisait au quotidien, mais avec beaucoup moins de classe.

▬ Kenzo, franchement...

Nora, elle était drôle. Elle avait cette logique qui lui était propre, un ordre décroissant d'importance pour chaque individu traversant sa vie à tout instant. Et si Sian Ellis se rapprochait pour elle d'une adversaire satisfaisante, le printemps quand à lui ne parvenait à lui inspirer le tiers de son importance.

▬ Sian a au moins le mérite de parvenir à user de ses capacités cognitives. Quand à toi...

Un soupir, profond, alors que la jeune femme ne daigne pas quitter son banc pour s'avancer vers le garçon, se contentant de lui jeter un vague regard par dessus son grimoire dans un grand sourire de joie.

▬ Nous serons déjà heureux si tu ne couvre pas de honte la société sorcière à chaque fois que tu as l'outrecuidance de te croire intéressant n'est ce pas?  

Ton pernicieux et persifleur, de la puanteur égocentrique en mélodie, du Sian Ellis en symphonie. Sian avait longtemps été un mystère, pour Nora. Elle ne croyait pas à la folie : tous les comportements devaient être logiques, rationnels, adaptés. Mais cette demi ratée était vraiment névrosée, Nora avait apprit s’y faire. Elle aurait du s’en douter en la voyant pivoté vers elle - cette colère presque primaire – c’était celle qui sommeillait en chaque coeur mortel, mais qui ne s'exprimait qu'auprès des personnes socialement inadaptée qu’il ne fallait pas chercher à comprendre. Au fil du temps passé à la côtoyer, mademoiselle avait finit par comprendre que c'était l'hostilité ambiante qui la provoquait. Un chien mordait ses maitres si on s'aventurait à l'asticoter sans cesse. Alors, elle avait commencé à la mépriser, à l’utiliser comme un de ces jouets dont elle s’était lassée. Sian était un rebut, mais parfois, les rebuts sont les sources de grand amusement.

Pourtant, Nora devait lui reconnaitre ça, elle n'était pas si bête Sian. Elle avait même de l'esprit lorsqu'elle ne s'amusait pas à jouer les paysanne hystérique. Son regard, résigné il fallait bien l'avouer, se détourna de son regard pour embrasser le visage de la jeune femme. D'un vague geste du poignet, elle balaya ses remarques d'un air peu concerné.

▬ C'est sûr que ta brillante tentative de renvoie pour comportement violent était d'un génie in-cro-ya-ble .

Sa voix, grave, grondait comme un tonnerre. Elle annonçait la tempête. Emprunte d'un rire moqueur. Doucement, très doucement, presque affectueusement, elle caressa ses propres lèvres, un éclat pensif au fond de la pupille, les yeux papillonnant sous la migraine naissante qui menaçait de poindre. Nora pouvait se montrer amicale, parfois, lorsqu'elle le désirait. Mais ce qu'elle esquissait là de la pointe de sa langue n'avait rien d'amical: c'était un avertissement. Elle aurait tord Sian d'en faire l'objet de sa colère alors que mademoiselle n'était pas encore partie en guerre.

▬ Si t'as besoin de t'en prendre à quelqu'un pour ramasser ton égo en miette trésor va voir ailleurs j'ai pas le temps.

Elle n'était le punching ball de personne Nora, elle était bien trop fière pour ça. Elle avait fabriqué trop de mort et trop de vie entre ses lèvres vermeilles pour que lui importe encore ce qui en passait la barrière. Elle avait provoquer trop de colère et de dispute pour que peuple estudiantin ignore le fléau qu'elle pouvait représenté. Une peste. La peste, terreur des bac à sable, grande manitou des amphithéâtres. Concise, peu bavarde, un piège toujours efficace. C'est qu'on aurait presque finit par l'oublier, maintenant que son attention s'était faite plus légère, sa perpétuelle arrogance s'étant échue pour laisser place à quelque chose d'autres, un mal latent, incandescent, beaucoup moins évident.

Si Nora avait eut un coeur, elle aurait sûrement trouvée Sian séduisante dans sa déchéance, touchante dans cet incessant besoin de reconnaissance. Il est vrai qu'elle en avait des choses à dire la demoiselle, derrière son apparente innocence,  insidieusement replié sous ce mal être qui lui collait à la peau. Elle se voulait intimidante mais n'y parvenait que difficilement - elle s'adaptait encore, louveteau dépourvu de croc qui essayait de mordre le chef du troupeau.  Et c’était ce manque, ces pathétiques tentatives qui la rendaient adorable aux yeux de tous… Ou de personne, sauf de Nora. Même si parfois, elle se montrait simplement ridicule, basique dans son propos comme dans son analyse, et la lassitude qu'elle lui inspirait amenait l'héritière à difficilement se retenir de mettre l'accent sur ses propres incohérences, de la secouer, de la lapider de ses mots.
C'est sans doute à l'ébauche de cette modique constatation que tout se dégrada. Espérait-elle vraiment la toucher en amenant entre elle le prestige et les distinctions de son père? L'autisme était-il le fruit du diable que devait payer les simples d'esprits?

▬ Oh mais chérie, tu ne me connais pas.

Nouveau sourire, large et franc cette fois. Elle ne mentait pas. C’était la victoire incarnée dans une expression et, c’est sans aucune hésitation qu’elle blottit son menton contre la tendresse de son poing. Rare était ceux qui pouvaient encore prétendre avoir été la fouiller jusqu'à l'âme.
Sian n'en faisait pas partit.

▬ Et l'intégrité de mon père n'a rien à prouver à une traine misère.

Sans doute son père était-il corrompu, comme tous les puissants parcourant ce monde. Pouvait-on prétendre s'élever au sein de cette société sans souillure tâchant la semelle de nos blancs souliers? Certainement pas. Et Nora savait ce que sa famille représentait, cette image bonifier que tous renvoyaient. Une perfection de chaque instant qui ne vacillait jamais. Et elle était drôle l'enfant, si drôle lorsqu'elle s'aventurait à prétendre connaitre sa valeur dans le monde.

Nora laissa cette atmosphère étouffante planer quelques instants avant de soupirer, le menton délicatement incliner dans l'une de ces innombrables mimiques qui la constituaient.

▬ Mais on ne peut pas t'en vouloir n'est ce pas? Il aurait déjà fallut que quelqu'un prenne la peine de t'élever.

Un sourire sarcastique.
Elles étaient deux ici, à être consciente que le mal était déjà fait, et que l'avertissement s'était mué en confrontation. Elle en aurait presque ricané, si le son sortant de ses lèvres avait pu être autre chose que ridicule. De ces élans de satisfaction cruelle qui la saisissait à chaque fois qu'elle s'aventurer à luter, de la pointe de sa langue et du bout des lèvres. Il était aisé de s'y perdre, dans la frénésie de sa verve.

Ligne franchit sans aucun état d'âme - tout juste une phrase qui glisse d'entre ses lèvres, suggestions délicate de la princesse de porcelaine. Que quelqu'un l'éduque, sa chienne sans laisse, sa Sian qui comme tant d'autres avant elle s'était égarée à mordre la main de ses maitres. Une sorcière un peu trop humaine qui réagissait toujours des manières les plus vulgaires - les jeux de poings étaient affaire d'humain. Ce n'était pas assez subtile pour elle, pas assez marquant, tout juste un éclatement de leur violence si peu satisfaisant.

Il n'y avait plus rien de bon qui agitait encore le palpitant de la sorcière - rien de tendre dans le regard qu'elle posa sur elle. Lorsque Sien froissa le col de son vêtement, lorsqu'elle rapprocha son visage du sien - menaçante. Il n'y avait que Nora Chiastraelli, fille de dignitaire, fille de chercheur, gamine d'intellectuels à l'enfance cousue d'or et à la tiare fondue dans l'argent.  Elle faisait mal sans bouger - juste en appuyant là où l'on ne souhaitait pas la trouver.

▬ Tempus state.

Le sort quitte ses lèvres comme à réflexe, à observer le corps de Sian figé face à elle alors qu'elle se défait de sa poigne. Lissant son col d'un geste distrait avant de se redresser, glissant sa main contre la joue du printemps dans un touché glacé.

▬ Navrée de devoir calmer tes ardeurs chérie mais certaines personnes ici ont un avenir et se soucient encore du règlement de l'établissement.

Son regard glisse sur son corps, bien plus fort que ce qu'on aurait cru au vu de sa modeste corpulence. La chose - même si son visage ne l'exprima nullement- la surpris bien plus qu'elle n'aurait pu le dire. Sian jouait des poings comme elle maniait les sorts, c'était un automatisme gravé à même la peau, reflet criant de leur éducation viscéralement différente.

▬ Être renvoyé même pour deux jours ça fait mauvais genre.

Et mademoiselle Chiastraelli arquait un sourcil railleur, récupérant sac et grimoire avec nonchalance tout en fixant la jeune figé dans cette singulière position. Elle n'imaginait pas la scène que lui servirait sa mère si elle apprenait que sa fille se donnait en spectacle avec l'enfant louve - a human in disguise.  Un soupir gonfla sa poitrine à cette simple idée, quelle perte de temps ce serait. Elle étudia Sian et son regard courroucé, Sian et sa violence rentrée, sa trop grande fierté mal exploitée qui ne parvenait même pas à sincèrement la toucher. Il y avait une certaine dignité à vivre parmi les lions en essayant de les imiter. Encore faudrait-il que l'usage lui apprenne à ne pas se faire artisane de ses propre humiliations.

▬ Si tu veux reprendre cette délicieuse conversation ce sera à la sortie des cours. Sur ce, je te souhaite une excellente journée Ellis.

Un sourire charmant, comme elle en distribuait bien trop facilement et mademoiselle tournait les talons. L'enchantement se brisant au moment où elle regagnait le couloir, trop éloignée pour maintenir son emprise sur le corps de la jeune femme.