frozen light

la jeune femme erre dans les couloirs de la demeure ancestrale, perdue dans ses pensées ; des pensées pas forcément joyeuses, des pensées sur lesquelles elle ne pose pas forcément de mots. ses doigts délicats frôlent la rambarde des escaliers tandis qu'elle les descend d'un pas léger ; le toucher glacé du marbre lui tire un frisson qu'elle ne peut réprimer.

elle n'a connu que ça, le froid de l'hiver et la rigueur de ses pairs ; elle se sent pourtant brûler d'un feu ardent qu'il lui est de plus en plus difficile de dissimuler. un feu ardent qui dévore son âme sous ses traits juvéniles ; un désir de flamboyance et de reconnaissance, un désir d'exister pour ce qu'elle est censée être et non pas ce qu'on lui demande de paraître.

désir brûlant qu'elle s'efforce d'apaiser par respect pour sa famille ; sa mère surtout, sa sœur un peu, son père parfois. elle est consciente de leurs sacrifices, leur en est reconnaissante ; elle ne peut pourtant s'empêcher de leur en vouloir. dans leur volonté de la protéger et de se protéger eux-mêmes, ils ont étouffé celle qu'elle était censée devenir, sans complètement parvenir à éliminer tout ce qui faisait d'elle un être différent.

un infime soupir traverse la barrière de ses lèvres carmins et elle secoue délicatement la tête comme pour faire fuir ces moroses idées, ses boucles brunes dansant autour de son visage fin. remuer ce qui ne peut être changé ne sert à rien et n'est certainement pas bon pour la santé ; elle a bien d'autres choses à faire en attendant d'avoir à vraiment s'en inquiéter. un discret sourire ingénu vient éclairer ses traits au souvenir de la promesse de sa tendre mère ; elles joueront ensemble aujourd'hui, l'aînée au piano tandis que la benjamine chantera.

ses phalanges s'enroulent autour de la poignée de nacre et poussent la porte qui s'ouvre sans un bruit sur la grande salle de séjour. la princesse aperçoit la reine, un peu plus loin ; eir glücksbourg semble être plongée en pleine conversation avec un individu que la jeune femme ne reconnaît pas. elle ne lui accorde que peu d'attention, tout son être concentré sur le modèle maternel ; elle essaie de mimer le port altier et les gestes gracieux, abandonne devant l'impossible tâche, se contente d'admirer.

l'admiration se transforme en horreur quand devant ses prunelles innocentes la matriarche se penche et laisse ses lèvres rejoindre celles de l'homme ; les adultes n'ont de toute évidence pas remarqué la présence de l'adolescente et celle-ci est désormais bien trop choquée pour se faire entendre. si elle a depuis longtemps remarqué que ses parents ne se portent aucune affection, il est douloureux d'en avoir la preuve ; cette mère si parfaite n'est en fait qu'une femme adultère, un être de péché loin de ce qu'elle a pu montrer.

une part d'elle se fane devant la scène, cette part d'enfance et d'innocence qu'elle conservait encore du haut de ses seize ans ; la raison prend le dessus et elle assimile la leçon que sa génitrice lui prodigue sans le savoir : peu importe les chaînes que l'on peut t'imposer, tu seras toujours libre. alors elle observe et elle apprend ; image brûlée sur sa rétine, symbolique écornée dans ses souvenirs. le sourire s'efface, l'éclat du regard s'estompe et quand ses iris accrochent finalement ceux de sa mère, il lui semble comprendre un peu mieux le mystère qui l'entoure depuis toujours.

« je suis prête, maman. »

prête à chanter, prête à grandir, prête à changer.

prête à s'affirmer.