Shit happens ☽ . ✵ *

Le poème traîne sur la table. Poème. Suite de mots anarchiques. Ode au désordre. Il sait comme elle les voit, Anthea. Comme elle a toujours vue Aurore. Comme un immense talon à crosse prêt à exploser tout leur échiquier sans une once d'érosion.


« - C'est... , il commence, avec circonspection. Mots disparates échoués dans l'air, à peine gerbés qu'elle lui coupe l'herbe sous les pieds.

- Inquiétant ? Catastrophique ? Cette gamine va nous mener droit au mur et ce torchon en est la preuve. Et elle s'prend pour qui, ce putain de Baudelaire ? C'est de ta faute, tu l'as laissée divaguer avec toutes ces âneries spirituelles !  

Il renifle, fronce les arques et l'observe. Sa femme, si revancharde. La curiosité mal placée l'agace.

- J'allais dire, passionné. Tu sais bien que notre fille a toujours … possédé un petit côté rebelle et activiste. Elle n'est simplement pas toujours d'accord. C'est pas faute d'avoir tenté de l'enfermer.

Ça pue le reproche. Ses narines tremblent. Elle l'a senti. Les emmerdes font que commencer. Tous aux abris. Elle manque d'imploser. Il le sent. N'en déplaise à madame, il n'en démord pas et agrippe les feuilles jaunies pour les replier et les ranger dans le grimoire d'Aurore. Son grimoire.

Le respect est vraiment mort.

- Tu n'avais pas à fouiller, je te rappel que c'est pour ces actes-ci précis qu'elle part.

Miséricorde. Le brouillard s'enfonce dans ses orbites. Elle humecte ses lippes rougies et fume par tous les naseaux.

- Pour fuir ses responsabilités. La seule bonne nouvelle dans tout ce bordel, c'est que Vasco a demandé après elle ! Que le ciel m'en soit témoin, Cassius, si notre fille fait tout foirer, je la rapatrie de force et il en sera terminé de ses délires égocentriques.

Et il craque.

- Tu comptes faire quoi?! Elle est majeure et adulte, maintenant. Arrête de ressasser, Anthéa. Accepte-le, Aurore ne suivra pas nos traces, point à la ligne. Tu sais quoi ? Ce qui te rend malade, c'est de voir qu'elle n'a pas fait comme toi. Elle décide à la place de tout le monde, et pas l'inverse.

La claque part toute seule. La chair brute fracasse l'épaisse barbe de Papa. Aurore jure entre ses dents, frappe son crâne contre le mur et chope la clope derrière son oreille. Elle devrait être folle de rage. Furieuse de voir son jardin secret une fois de plus violée et souillée. Furieuse contre son père, d'avoir joué le jeu en lisant ces lignes. Mais, c'est ça le truc. Elle est habituée. Voilà pourquoi elle doit se tirer.

Et vite.


« - Tu te souviens de la signification de ton prénom ?

Soupire.

- P'pa, j'ai plus huit ans.

Bref rappel.

- Aurore ?

Revenir sur le droit chemin. Énième soupire. Elle crache sa nicotine par les naseaux, lève les yeux au ciel et inspire.

- C'est, en Français, une prolongation de l'aube, répète la brune en tortillant ses boucles rebelles.

Elle a l'impression d'avoir passé sa vie à le répéter. Comme s'il craignait qu'elle oublie, qu'elle s'enfonce dans ses propres délires de petitesse.  

- Si tu voulais te la jouer poétique, fallait m'appeler Sunday, gros malin
.
Elle mâchouille l'intérieure de ses joues. Arrache la peau. Vieux toc qui agace la matriarche.  La sorcière sait où son paternel veut en venir. Il élève ses prunelles au ciel gorgé d'étoiles. Des milliers de petits points scintillants. Ils imaginent les deux yeux noirs, masqués sous l'épais drap de la nuit.

-Tu l'as fait, malgré toutes les critiques et tous les préjudices. T'as tracé ta propre voie et maintenant t'es dans les confidences du suprême en personne... Je suis presque jaloux. Non, je plaisante. Je suis vraiment fier de toi.

Elle renifle, lui jette un regard en biais et avise sa propre clope pendue à ses doigts.

- Donc j'peux avoir une piscine ?
-Aurore.
-Je te signale que le réchauffement climatique m'use la peau. Une petite piscine derrière mon jardin, ce serait pas du luxe.

Soupire.

- Aurore....

Râle.

- Bon d'accord, juste un jacuzzi.

Papa lui jette un regard qui veut tout dire. Tu m'agaces, fille.  Alors elle embrase son beau visage d'un sourire joyeux avant de balancer son épaule contre la sienne. Une complicité si rare. Si précieuse. Personne ne devra jamais la lui voler. Jamais.

- Alors, d'ailleurs, avec Damon, ça se passe comment ? Qu'il attaque sans prévenir.

Elle hausse les épaules, la sale gosse. Ses yeux se détournent, la clope rejoint ses lippes pleines et sa peau d'ébène ondule sous ses mouvements d'épaules. Elle mime une décontraction factice.

- Tu t'es attachée, hein ?

Et maintenant, voilà qu'il blasphème.

- Mais... Mais même pas en rêve ! qu'elle s'insurge, crachant un rire nerveux. Tellement faux . Elle ment tellement mal.

Et il ose s’esclaffer, le fumier.

-Tu l'adores, c'est sûr.

La jeune femme crache sa bile sur l'asphalte, mâchouille son filtre à cancer et soupire avant de fourrer ses pognes dans les poches de sa veste.

- Je le tolère mieux qu'avant, voilà, t'es content ? Il est ... Pas si pire, j'apprends des trucs avec lui. »

Son seul sourire d'un blanc éclatant en guise de réponse, Aurore soupire pour la millième fois. Avant de poser sa tête sur l'épaule rassurante du père. C'est vrai, qu'elle l'aime bien, Damon. Qu'elle n'a jamais trouvé juste qu'il doive perdre la vue pour qu'elle prenne cette place si inattendue. Au début, tout indiquait qu'elle n'avait pas mérité d'être là, juché à côté du plus grand toute la sainte journée. Que la malchance de l'un avait fait sa chance scandaleuse à elle.  Peut-être que ce troisième niveau veut vraiment dire quelque chose, au final. Peut-être bien qu'elle en foutra réellement quelque chose, de sa vie.

Qui sait, les miracles existent.


Sur l'écran, les chiffres rouges éclatant affichent son pire cauchemar. Il est 9h00.

« - Ah merde.

C'est tout ce qu'elle trouve à dire. La gueule de travers, les boucles en vrac et des traces de plie de polochon sur la carne de sa joue rougie. Sur le coup, ça lui semble hyper convenu. Carrément adéquat. Mais au cas ou le vide l'aurait pas pigé, elle se répète, la gosse.

- AH MERDE ! Chier' ! MERDE MERDE MERDE ! »

La brune se redresse maladroitement, empêtre ses pieds dans les draps, mouline stupidement des bras et hurle avant de se voir chuter de plus en plus vers le tapis glissé sous son lit. La chute est rude, bout de truffe plaqué contre le nid à acariens. Et quadruple merde. Elle est encore à la bourre. Vasco va la trucider.

Finalement, pour les miracles, on repassera.