You reap what you sow - Solstice

Les rumeurs, ça court. C’est comme si le temps d’un moment, les humains se transformaient en cette vermine que voient les sorciers, à courir le long des caniveaux, à balancer ce que l’ami d’un ami a entendu. C’est peut-être ça qui fait que Staten Island est dangereuse, le fait qu’il est pire dur de garder ses secrets, que les oreilles semblent toujours être à l’affut. Parce que d’offrir des infos a quelqu’un d’important, ça assure plus de tickets de rationnement, ça assure de pas se faire détruire au prochain raid. Tout s’achète ici, et en particulier la vie. Kaz n’est pas du genre à jouer, peut-être parce qu’il est trop naïf, fait confiance a trop d’monde, cause tellement qu’il sait qu’il finira par balancer un truc qu’il fallait pas. Mais ça n’empêche qu’il entend des trucs a droite a gauche, parce qu’a l’image de ce lointain Batman qu’il a découvert sur le mur d’un bâtiment abandonné, il est le chevalier de la nuit, court partout sans que personne ne le voit réellement. Alors qu’il finissait un bout d’pain degueulasse au sommet d’un de ses toits préférés, les lourdes conversations de deux gars qu’il ne connait pas se sont lassées porter jusqu’à ses oreilles curieuses. Ils causaient de quelqu’un qui a balancé des rebelles, qui en a fait arrêter plusieurs. Et ça, c’et le genre de truc qui fait que Kaz soit attentif. Alors que la conversation a continué, il les a suivis au travers des ruelles, jusqu’à ce qu’il entende quelque chose qui l’arrête net. Son regard s’est perdu, incertain de ce qu’il se doit de penser désormais. Non, c’est pas vrai, il sait bien ce qu’il se doit de penser, mais ça le fait vraiment chier.

Debout sur son toit, seulement triste de pas avoir une cape qui claque dans le vent, son esprit a retrouvé des souvenirs qu’il se prend à oublier pour pas déprimer. Quelques années plus tôt, il a failli y passer. Et ce n’était pas comme la semaine passée ou il a juste fait son con, non, c’était le genre de truc qu’il n’aurait pas pu voir venir. Une embuscade comme il en a rarement vu. Dans le fond, il était juste au mauvais endroit au mauvais moment, parce que c’est à peine s’il connaissait la rebelle qui s’est fait prendre, mais il n’empêche qu’il n’en est pas sorti sans séquelle. Une réunion révolutionnaire qui se devait d’être secrète, qui a fini par une descente si précise qu’il a été le seul s’échapper. Pourquoi ? Parce qu’il court plus vite et plus haut que les autres. Parce que c’est un putain de chanceux. Et voilà qu’il a enfin découvert la raison de sa presque fin, cette qui fait que plusieurs ont disparus. L’heure est venue pour lui de faire quelque chose.

Sa clope illumine son visage dès qu’il inspire la fumée, ses jambes dansant dans le vide comme elles le font si souvent. Il se contente de fixer le bar, ses aléas. Il se prend à rire de ceux qui se pètent la gueule à la sortie, hésite quelques fois à intervenir dans un combat alcoolisé avant d’entendre des rires resonner. S’il y a bien des moments qui lui permettent d’oublier qu’il vit dans un enfer certain, ce sont des moments comme ceux-ci. Jusqu’à ce que sa silhouette n’apparaisse. De longues heures plus tard, alors que l’établissement ferme enfin ses portes, la voilà qui vagabonde dans les ruelles sombres. Il la suit un long moment, Kaz, silencieux dans sa hauteur, à attendre une rue plus sombre que les autres, plus vide. Sa main se referme sur un bâton de police qu’il a volé à un des gardes qu’il aime pas. Dans un battement de cils, le voilà qui retrouve la rue. Il atterrit juste devant l’humaine, pose la pointe du bâton sur sa poitrine, se voulant menaçant. Et peut-être qu’il l’est vraiment. Il la connait d’ici et là, Solstice. Il la connait comme ils se connaissent tous, et puis il est jamais du genre à refuser un petit verre au Mermaid Bar. Mais le regard qu’il lui balance laisse entendre qu’il n’est pas là pour jouer, il n’est pas là pour finir sa soirée à rire comme l’enfant qu’il aimerait être. « Faut qu’on parle toi et moi. » Il enfonce un peu plus le bâton sur la poitrine de l’humaine. « Et j’te conseille de pas faire chier. » Il a laissé sa cigarette haut dans le ciel, mais l’odeur du tabac continue de s’enrouler autour de lui. « J’ai entendu dire que t’es du genre à causer de ce qu’il faut pas ? ».

« Je vous connais pas. Je vois mal de quoi on aurait à parler. » S’il s’agissait d’un tout autre jour comme ceux qu’il connait souvent, ou il se serait perdu dans la Delphi a un tel point qu’il a carrément l’impression de voler quand il court, son visage se serait contracté dans une expression incertaine, le genre qui hurle un "whut". Mais il le fait pas, Kaz. Il le fait pas parce que ce n’est qu’une trace de drogue qui coule dans ses veines, le genre discrète qu’il connait par cœur, qui est journalier. Pas que ça, il est en mode sérieux, et ça, ça surpasse tout le reste. Toutes les blagues qu’il aimerait bien faire, il ferme sa gueule parce que c’est pas l’important. L’important c’est qu’il a trouvé celle qui a failli le buter, celle qui a buté d’autres rebelles qu’il a admiré depuis les premiers jours. Et ça, c’est pas le genre de trucs qu’il pardonne facilement. Et puis il y a un truc dans le fond des yeux de l’humaine, un ptit quelque chose qui pousse ses muscles à se tendre, comme pour se préparer à la bataille. Parce que ouais, il est certain qu’il sait se battre, Mazen s’en assure toujours, mais il aime pas voir de la confiance dans les yeux de quelqu’un d’autre, parce qu’il sait jamais si c’est fondé ou pas. En gros, il arrive pas à savoir si elle risque de lui sortir un truc de kung fu pourris ou le mettre à terre en deux seconde. Et ça, il aime pas.

« La réciproque est vraie, j’ai autre chose à faire que de rester passive face aux menaces d’un inconnu. » Il se contente de se renfrogner, d’appuyer un peu plus le bâton contre la poitrine de la femme. Elle ne le connait pas ? Il en rirait presque s’il n’était pas en mode sérieux. Parce qu’il se dit que c’est probablement vrai, il s’est pointé à ce meeting alors qu’il était pas invité, et s’est pointé en retard en plus, donc c’est fort possible que personne ne sache qu’il devait y être. Personne sauf la rebelle qui l’a vu alors qu’elle se faisait emmener, celle dont le regard lui a hurlé de se casser sans regarder en arrière. Il était jeune et con, Kaseem, alors c’est c’qu’il a fait. Donc ouais, surement qu’elle le connait pas, mais il est temps de s’assurer qu’elle le connaisse maintenant. « Je ne crois pas non. S’il y a bien une chose que j’ai apprise c’est que parler à tort et à travers ne peut qu’apporter le danger. » You don’t say.

Il sait pas comment approcher le truc, simplement parce qu’il arrive pas à savoir si elle se fout de lui ou pas. Et c’est jamais facile ce genre de chose. « Apprise c’est l'mot d’ordre, ouais. » Il arrive pas à cacher le mépris de son visage, Kaz. Il la méprise sans l’avoir jamais rencontrée. Il la méprise sans même savoir qui elle est. Parce que c’est comme ça, il a construit une image de monstre dans sa tête, et même si ce qui se tient devant lui c’est juste une femme qui a l’air de savoir se défendre, il arrive pas à voir autre chose. Elle doit être un monstre pour qu’elle a pu faire ça, il voit pas d’autre possibilité. Quel humain irait balancer d’autre humains ? Le visage d’Abraham occupe son esprit un moment avant qu’il ne le force à disparaitre. « Laisse moi t'parler de ce qui c’passe quand tu balances des trucs que tu devrais pas. » Le bâton s’abaisse doucement, retombe aux cotés de Kaseem. « Tu vois il y a des gens qui en ont ras le cul de la connerie sorcière, alors ils s’laissent prendre dans des trucs pas très net. » Son regard la fixe. « Sauf qu’il y a aussi des gens qui font les cons, et qui vont balancer d’autres gens. » Ses épaules se lèvent dans une fausse désinvolte. « Genre j’sais pas moi, à des sorciers de l’Aube à tout hasard ? » Ses poings se serrent, ses muscles se tendent.« Des batards qui viennent ensuite buter des gens a une réunion disons… secrète ? Le genre que personne s’doit d’connaitre. » Il est pas dur de voir qu’au travers de son extérieur sérieux, il y a des trucs qui font mal, au plus profond de lui. « Ça t’rappelle quelqu’chose ou bien ? »